Soyons attentifs à l’Esprit qui nous pousse à aimer la vie (échos de la rencontre avec Marie-Christine Bernard

Relus par Marie-Christine
Marie-Christine Bernard, théologienne, et spécialisée en anthropologie, était parmi nous les 6 et 7 octobre 2023.
Le vendredi soir, plus de 150 personnes étaient présentes pour assister au spectacle « Et si Dieu était laïc ? » écrit par Marie-Christine et mis en scène par Odile Menant.
« Un one-woman show au style direct qui vient questionner la laïcité de Dieu et nous entraîne progressivement de la question du bonheur et du malheur à la place que nous laissons à la vie spirituelle ». C’est le petit résumé qui se trouve en 4ème de couverture du livre qui reprend le texte du spectacle.


Un one-woman show avec jeu de lumières, musique, textes entrecoupés d’extraits de psaumes chantés, des citations bibliques. Et de l’humour. Il faut suivre… On ne s’ennuie pas. Le temps passe très vite.
Tout commence par la Genèse et la question du Dieu tout puissant, continue avec l’histoire d’Élie, le prophète où Dieu se fait entendre par la voix de « fin silence », « d’où l’essentiel nous vient… Dieu est présence, c’est ici, c’est maintenant et c’est cadeau ! ».
Dieu nous invite au bonheur et nous sommes créés pour le bonheur.
Et la religion dans tout ça ? Marie-Christine évoque Jésus qui passe par la vie ordinaire, qui nous touche, qui nous remet d’aplomb. « Et sur son passage, c’est comme si nous étions à nouveau créés… ».
S’appuyant sur quelques extraits de l’Évangile (femme adultère et autres…), elle nous invite à la liberté et à la vie spirituelle.
Dans ce spectacle, Marie-Christine n’oppose pas vie spirituelle et religion : « elle fait partie de l’outillage … à condition d’en connaître le mode d’emploi ». Et à user avec sagesse, à l’exemple de Jésus, « sinon ça peut vite déraper très vite. Et ça peut faire des dégâts »
Cultiver la vie spirituelle comme on cultive son jardin… au cœur…, le centre de la personne, là où se trouvent les vraies raisons de nos actions.
Un spectacle qui nous invite à « cultiver en nous la vie spirituelle pour suivre les impulsions de l’Esprit et faire les bons choix, vivre libre », à construire un monde plus humain, à goûter le présent dans sa plénitude,  à cultiver en soi et autour de soi le jardin de l’Esprit.
Magnifique spectacle qui donne à penser et qui est plein d’humour. À voir sans modération.
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Le samedi, la journée de réflexion, qui a réuni 31 personnes, s’inscrivait dans la suite du spectacle.
« Besoin de sacré, soif de communion humaine et aspirations identitaires »
, tel fut le thème abordé.
Difficile en quelques lignes de résumer tout l’apport de Marie-Christine et les échanges qui ont eu lieu. Voici quelques brides rapportées à partir de notes de quelques participants.
En introduction, Marie-Christine nous rappelle que d’un point de vue anthropologique, l’être humain a l’intuition, sinon la conscience de quelque chose qui le dépasse (du transcendant) et ce, depuis toujours.
Parmi les exemples cités dans la bienveillance sans jugement :
L’Association Notre Dame de la chrétienté : elle organise le Pèlerinage de Chartres, traditionnaliste, qui a regroupé cette année 16 000 participants (il a fallu limiter les inscriptions !), d’âge moyen 21ans. Ce pèlerinage, le plus important en Europe, a de plus en plus de succès. Cela interpelle.
L’association repose sur trois piliers : «  tradition, chrétienté et mission. Ce rassemblement répond à un besoin de sacré (ce que l’on associe au transcendant), mais surfe aussi sur une nostalgie de la chrétienté (mythifiée ici) et d’un monde médiéval qui fascine : rituels, chants en latin, adoration, vêtements liturgiques, bannières, attitudes corporelles (à genoux…), rapport d’obéissance au clergé (homme de Dieu), etc.
Il y a là une volonté de résistance culturelle.
Il y a en même temps un relent de gnosticisme réservé aux initiés. « Faire confiance à quelque chose qui nous dépasse ». La vérité est réservée aux initiés, aux cadres de l’association Notre Dame de la chrétienté, en quelque sorte, qui « savent » et aux membres de base qui en bénéficient sans trop chercher à comprendre.
Les références sont celles du magistère des papes. Mais sur le site de l’association, on ne trouve quasiment jamais une parole du Pape François.
Cette génération de catholiques nous voit comme des « boomers aigris ».

De l’autre côté du spectre des sensibilités, on trouve une minorité de jeunes catholiques, jeunes du milieu rural souvent (MRJC par ex.), partisans d’une  « humanité globale », sensibles à Laudato Si, impliqués dans des associations de solidarité et de défense de l’Environnement, engagement qui devient pour eux prioritaire pour vivre leur foi chrétienne. Ils échappent à toute visibilité car dispersés et peu férus de célébrations liturgiques. Plutôt que la tradition, ils ont comme pilier l’avenir de nos sociétés.
Eux, ils ne nous voient pas, sinon comme des  « boomers fatigués ».
Ces deux lignes ne se rencontrent pas.
Du côté des musulmans, un même constat. Il y a environ 90% de musulmans très bien intégrés dans la société mais les courants fondamentalistes, extrémistes, minoritaires en nombre, ont un pouvoir de toxicité important : intégristes ou intégrisants qui remettent en cause la laïcité à la française, et combattent nos valeurs phares : la liberté (sauf si elle leur sert pour répandre leur doctrine), l’égalité, la fraternité. Ce qui a entre autres conséquences de provoquer et renforcer les extrémismes politiques.

Comment expliquer cela ? A parti de ces constats, Marie-Christine nous fait réfléchir à     l’anthropologie. L’être humain cherche une réponse à des besoins essentiels humains : à la croisée de deux grandes lois importantes :

  1. La dimension éthique qui convoque un système de valeurs : on cherche le sens, les raisons de vivre. Les valeurs balisent la conscience morale et c’est de là que vient notre sens du sacré.
    On possède tous le sens du sacré. (Ex du corps avec les zones de pudeur).

Chez les animaux, il n’y a pas de « sacré », parce qu’ils n’ont pas besoin d’éthique, ils suivent leurs instincts en ligne directe. Ce qu’un humain ne peut pas faire. Son agir, ses décisions, ses engagements passent par le filtre d’un discernement moral, à partir de ses valeurs.
On a tous un système de valeurs. Mais on n’a pas tous les mêmes valeurs. A chacun de repérer ce qui le, la, motive réellement, et il ou elle trouvera ce que sont ses vraies valeurs.
Nos sociétés se construisent autour de valeurs partagées par leurs majorités respectives. Pour nous, par exemple :
Liberté : ex « Charlie », liberté d’expression collectivement partagée.
Égalité (égale dignité) car toute personne contient en elle ce qui fait l’humaine humanité, quelles que soient les différences, par ailleurs (de couleur, de compétences, d’opinion, de sexe, de fortune, de santé…)
Fraternité : ainsi, en cas de divergences d’opinions, plutôt que de se taper dessus, on préfère chercher des consensus par le dialogue, la négociation. C’est une option qui exige que tous les protagonistes la choisissent, la reconnaissent comme une valeur à défendre, à cultiver. Cela relève d’une démarche intérieure, pour qu’elle puisse prendre forme dans un style de relation avec les autres, surtout ceux avec lesquels je ne suis pas d’accord.
C’est du côté de cette intuition du transcendant qui nous oblige à nous référer à des valeurs et à définir du sacré, que l’on va trouver de la religion. En effet, nous sommes tous habités par une religion naturelle, spontanée (croyances sans preuves, rituels divers, tendances aux sacrifices, etc), parce que nous avons conscience de notre vulnérabilité foncière, de notre « être pour la mort ».  A quoi cela sert de vivre si on doit tous mourir ?…Sentiment d’absurdité. Peur de la mort : sens du transcendant qui nous dépasse. Ainsi naissent les religions et même pour les moins croyants, il existe de la religion naturelle. On invente des rituels pour mettre ces forces de notre côté. Quand arrive le malheur, il faut que nous trouvions un sens aussi. On fait intervenir la punition, la réparation, le sacrifice.
Mais ces croyances, ces rituels, etc perdent vite le lien avec les questions qui taraudent les gens, ne répondent pas aux questions sur la vie, la mort, perdent leur sens.
Conviction : Le Christ nous invite à convertir tout cela, à passer de la peur à la confiance car la vie est bonne en soi, même si elle est éprouvante. Il nous invite à laisser tomber cette religion naturelle basée sur la peur, pour entrer dans la foi en « la Source de Vie » (Dieu, Père, Créateur, Mère…)

  1. Deuxième loi que nous ne choisissons pas : nous sommes reliés même avant notre naissance.
    Liens à la mère biologique, à la langue, à l’environnement, liens avec les autres, même l’ermite qui s’isole. La question du sens et du sacré se matérialise dans les traditions, les bâtiments, les livres, les arts… Ce sont des supports qui socialisent les êtres humains dont l’identité est mouvante et ouverte, jamais figée.
    On donne forme au social par, entre autres, les institutions religieuses.
    Sur le terrain de la socialisation il y a l’autre en face de moi. L’autre m’échappe. On a tous besoin d’être reconnus, être proches (cercles d’appartenance) et distincts à la fois.

Les frontières sont structurantes, quand ce sont de vraies frontières, des limites claires avec des points de passage, par où on entre, on sort.
La différenciation est positive, la rupture radicale avec l’autre ne l’est pas (cf la loi contre le séparatisme qui vise à lutter contre une cassure dans le « nous » par les groupuscules qui nient la valeur des autres, des autres qu’eux).
C’est cela  l’altérité : l’autre est un « comme moi », différent.  Dans l’évangile, Jésus nous invite à assumer positivement cette réalité-là, que l’on vit à la base avec le Créateur qui nous a créés «  à son image et à sa ressemblance ».
Du côté des Églises, jusqu’au 4ème siècle, l’Église est multiple. Pierre et Paul restaient en lien et solidaires malgré leurs mésententes et leurs approches différentes. La Foi est multiple et peut (doit ?) pouvoir s’exprimer en de multiples formes sociales.

 Que penser de l’Église catholique de demain :
Choix entre 2 Églises : celle des sacrifices, des rubriques du Missel, des appels à une notion de sacrifice pourtant peu biblique ; ou celle où l’on cherche à honorer Dieu en assumant notre humanité: une Église non figée où l’on accepte avec gratitude les différences comme dans les Actes des Apôtres, où l’esprit de L’Évangile est la boussole, le repère. C’est l’Esprit du Christ qui nous rassemble, qui fait l’unité, pas nos efforts (vains !) d’uniformités. Le Christ bâtit l’unité avec du différent, Lui, il sait faire.
La Religion : faut-il rester dedans ?
Normalement, la religion est la socialisation du rapport au transcendant. Mais le processus de socialisation ne concerne pas que la religion. Il y a des enjeux d’identité collective qui s’y trouvent charriés. Et il arrive que ceux-ci prennent l’ascendant sur la quête spirituelle proprement dite (lien de chaque conscience au transcendant).  Par exemple, on va se dire « orthodoxe » parce qu’on est grec, ou « catholique » parce qu’on est français, et le rapport à la nationalité va être tenu pour plus important que le rapport à un évangile ou à une palette de questions philosophiques sur le sens de la vie…  Le besoin de s’identifier à un groupe d’appartenance, d’une identité collective, d’un « nous » est très important pour l’humain. Et la mondialisation marchande qui écrase tout à proportion de son emprise, violente ce besoin, d’où l’irruption de revendications identitaires tous azimuts. Et les religions établies peuvent être utilisées (le sont souvent) comme des marqueurs d’identité, des appuis de revendications identitaires.
Nous avons à tenir compte du besoin de rituels (structurant socialement) pour ensuite les dépasser. Et on en trouve dans les religions. Ce sont des repères possiblement utiles mais pas obligatoirement nécessaires quand on avance dans la Foi.
Alors que fait-on de tout cet héritage ?

Nous avons un devoir d’inventaire. Il s’agit trier dans notre trésor le neuf pour le garder et le vieux, pour s’en défaire. Dieu n’est pas tout puissant, sinon d’amour. Notre liberté de conscience est à l’œuvre.
« L’église institutionnelle va mal, mais l’Église du Christ va bien tant qu’il y a des gens pour   témoigner de la bonne nouvelle de libération annoncée par Jésus, le Christ. Il suffit d’être disponible à l’intérieur de soi, et d’exister aussi honnêtement humain que possible. C’est ainsi que le Seigneur agit. »
Nous sommes ensemble à chercher, à mieux comprendre et à interpréter le Parole, à partir de nos expériences singulières, dans la rencontre et l’écoute des autres, notre témoignage partagé, aussi juste/ajusté que possible… Voilà l’Église.
Amour du Tout-Autre-Absolu à travers l’amour de tout-autre-relatif, mon frère, ma sœur dans la foi, qu’il ou elle partage ou non mes croyances…
Soyons attentifs à l’Esprit qui nous pousse à aimer la Vie, don du Créateur !

 

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