Se réformer ou mourir.

Sept théologiennes prennent la parole.
Laure Blanchon, Isabelle de La Garanderie, Véronique Margron,
Anne-Marie Pelletier, Lucetta Scaraffia, Anne Soupa et Marie-Jo Thiel.
Ed. Salvator. 180 pages. Octobre 2023.18,80€.
Article extrait des « Ephémérides » de la CCB Lyon

La force dramatique du titre en dit long sur la situation dans l’Église confrontée de façon inédite à une accumulation de défis : exculturation, sécularisation, désaffiliation, raréfaction des vocations, effacement des cadres institutionnels, à quoi vient s’ajouter la crise des abus sexuels et spirituels : la barque prend l’eau de toutes parts selon les termes mêmes du cardinal Ratzinger en mars 2005. L’équipage des théologiennes, chacune dans son registre propre, essaie non seulement d’écoper, de colmater les brèches ; chacune suggère des manœuvres de pilotage afin d’éviter le naufrage.

La première contribution de Lucetta Scaraffia, historienne, sonne l’alarme : jamais comme de nos jours la tradition catholique n’est apparue plus archaïque, plus dépassée par son époque. Scandale des abus sexuels – thème prédominant dans tout l’ouvrage- remise en cause du célibat sacerdotal, discrédit de l’institution à l’égard des femmes : la directrice du supplément familial de l’Osservatore romano encourage l’Église à dépasser le clivage entre progessistes et conservateurs pour retourner à ses racines spirituelles, seules capables d’ouvrir les portes à l’espérance.

Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France ( CORREF), revient évidemment sur le grave problème des abus et des emprises dans l’Église ; ce qui doit nous appeler à la vigilance, interroger même les conditions actuelles de la vie religieuse, désormais influencée par l’autonomie du sujet du fait de l’entrée plus tardive dans les ordres.

L’apport d’Anne-Marie Pelletier consiste à débusquer les pièges “d’un spécifique féminin” qui maintiendrait les femmes dans des rôles définis par l’homme : à lui, l’autorité, les pouvoirs du sacré comme dépositaire ecclésiastique pour enseigner, gouverner selon les règles du principe pétrinien ; à la femme, dont la Vierge Marie serait le fleuron, le visage de l’Église-épouse, idéalisée. Fustigeant une fausse représentation de l’Incarnation qui ne veut pas reconnaître que Dieu s’est fait humain et non homme, Anne-Marie Pelletier en appelle à une vision inclusive de l’appartenance chrétienne à partir du baptême et référé à Ga 3, 27-28. Il n’y a plus l’homme et la femme. Sans cette référence baptismale, il est vain de penser un renouvellement des ministères dans le sens d’une plus grande égalité évangélique.

C’est dans la même voie que s’engage le discours de Marie-Jo Thiel : l’enjeu n’est pas de permettre aux femmes d’être intégrées dans un système cléricaliste, mais de prendre en considération la passion évangélique de l’égalité homme-femme (page 88). Et d’étriller la confusion entre rôle et personne qui permet d’attribuer à la masculinité seule la possibilité de dire que le prêtre agit “in personna Christi”.

Isabelle de La Garanderie, dans une vision plus positive, s’appuie sur la démarche synodale du pape François pour que l’Église retrouve sa source en suivant le “sensus fidei” : j’ai toujours besoin de la parole de l’autre, fût-elle différente, pour grandir dans ma foi. Ainsi, c’est une Église de l’écoute qui instaure la synodalité comme mode de vie et d’exercice du pouvoir. On retrouve les échos du dernier livre de Christoph Théobald « Le synode, un nouveau concile qui ne dit pas son nom ?« 

Sans oublier le contexte des abus et de leur gravité dans l’Église, Laure Blanchon décale le propos : ce qui sauvera l’Église, c’est la façon dont elle ouvrira aux pauvres un chemin de vie nouvelle. C’est bien le défi de l’ouverture qu’il faut vivre, en refusant l’entre-soi catho, sans altérité sociale de nos communautés et sans métissage générationnel. Le plus pauvre, dans sa détresse matérielle ou psychologique, est à placer au cœur de nos assemblées pour vivre ensemble l’aventure du Salut, ce qui implique d’ajuster avec lui des relations fortes et suivies.

Sans la présence des très pauvres dans nos assemblées, nous courons le risque de nous tromper de Dieu. La finesse de l’analyse, le dynamisme spirituel qui se dégage du discours de cette sœur ursuline, docteur en théologie, font mouche.

Anne Soupa, dans la dernière contribution, voit dans l’inclusion et l’acculturation les deux chemins pour une réforme de l’Église : l’inclusion, en refusant de nos jours la marginalisation des homosexuels, des divorcés remariés …, car cette inclusion est au cœur du message de Jésus qui instaure des relations de proximité avec les déviants religieux et autres marginaux ; l’acculturation ensuite, pour une meilleure écoute et compréhension du monde afin de pouvoir lui parler dans un langage contemporain compréhensible et pourtant riche des ressources du passé.

L’ouvrage dans la diversité de ces sept interventions pourrait nourrir bien des débats autour de la place des femmes, de l’exercice du pouvoir dans l’Eglise et d’autres sujets. L’ensemble décoiffe ! Mais n’est-ce pas pour valider la dernière phrase du livre empruntée à François Cassingena -Trevedy : “le décor du christianisme est mort, le coeur du christianisme commence seulement de battre …”

G.T. Janvier 2024

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