Les catholiques [aux USA] ne sont pas aussi polarisés qu’on le dit

Article extrait des Éphémérides d’Avril 2024 par la CCBLyon

Heidi SCHLUMPF National Catholic Reporter – 12 mars 2024

Sociologue qui étudie le catholicisme américain, Tricia Bruce sait que son travail est souvent résumé négativement -les jeunes qui rejettent la religion, les groupes polarisés dans l’Église, les prêtres qui ne font pas confiance aux évêques, etc.(…) Aujourd’hui, Mme Bruce espère apporter au processus synodal son expertise (…) car elle fait partie des 6 conseillers nommés pour un an au secrétariat général du synode.

Bruce a étudié ces « expériences incarnées » que sont la vie paroissiale, la vie des prêtres, les questions de l’avortement et de l’adoption, le rôle des femmes, le diaconat, et la vie de mouvements de laïcs tels que Voice of the Faithful2 (Voix des fidèles). L’éventail des opinions des catholiques américains est large mais elle pense que sa polarisation est moins forte qu’on ne le dit souvent.

Sa nomination date de février, au moment où le Vatican annonçait que le processus synodal se poursuivrait avec tous les fidèles avant la session d’octobre 2024 par l’étude de certains des thèmes abordés lors des réunions d’octobre 2023. La plupart des 16 conseillers du secrétariat sont des théologiens.

Cependant T. Bruce estime que les sciences sociales ont un rôle à jouer dans un processus qui consiste, in fine, à tenter d’écouter, puis de discerner dans un large spectre de croyances, de perceptions et d’expériences.

En réfléchissant à son rôle au sein du synode, elle s’interroge : « Quel genre de questions posons-nous ? Quels types d’hypothèses faisons-nous ? Est-il possible que certaines d’entre elles soient incorrectes parce que basées sur des modèles anciens de nos manières de parler et de comprendre la religion et la spiritualité ? »

Bruce, qui vit à Knoxville dans le Tennessee, est attachée au Centre d’étude de la religion et de la société de l’université Notre-Dame et a récemment été nommée directrice du Springtide Research Institute, qui suit les tendances chez les jeunes âgés de 13 à 25 ans. Depuis 2020 l’institut publie un rapport annuel sur l’état de la religion chez les jeunes. (…)

Sa nomination a suscité des réactions négatives de la part de groupes conservateurs préoccupés par ses recherches. Ainsi les trois femmes qui ont été nommées conseillères [au secrétariat du synode] le 17 février – T. Bruce (USA), Sr Birgit Weiler du Pérou et Maria Clara Lucchetti Bingemer du Brésil – ont été qualifiées de « dissidentes » par Bill Donohue de la Ligue catholique3 .(…)

L’étude sur les femmes et le diaconat, intitulée « Called to Contribute » (Appelées à contribuer), rassemble des entretiens approfondis avec 40 femmes dont le service à l’Église recoupe les fonctions diaconales essentielles, telles que la liturgie et le travail caritatif. Ce projet a été financé par le groupe Discerning Deacons (Discerner le diaconat), qui prône la réadmission des femmes au diaconat. Certaines personnes interrogées ont fait part d’une « profonde tristesse de n’avoir pas pu répondre à l’appel de Dieu pour l’Église qu’elles ressentent profondément ».(…)

Si elle reconnaît que les catholiques américains ont souvent des « opinions très contrastées », elle estime que la perception de la polarisation – et la crainte qu’elle suscite – est exagérée.

(…)

Par exemple, dans une étude sur les attitudes à l’égard de l’avortement, financée par l’Institut McGrath4 pour la vie de l’Église, l’équipe de T. Bruce a entendu des avis complexes et nuancés qui ne correspondaient pas aisément aux étiquettes « pro-vie » ou « pro-choix ». « Il est facile de se fier aux étiquettes qui nous placent dans des camps bien définis, mais nous paraissons alors plus extrêmes que nous ne le sommes« , a-t-elle déclaré. « Mais lorsque, sur un sujet, vous dépassez la première ligne de questionnement, les personnes partagent des opinions qui font que les classer dans un camp n’est plus possible.  »

Elle estime que la peur mal fondée de la polarisation « divise avant même que la conversation ne débute »… »Lorsqu’elle commence dans un cadre de polarisation, survient la peur de parler des choses difficiles, et il est alors difficile d’aller de l’avant ». (…)

Sa carrière universitaire a toujours été tournée vers le public, estimant que l’information sociologique doit être accessible et utilisable. « Sinon, nous ne remplissons pas l’un des principaux objectifs de la sociologie, qui est de permettre aux personnes de mieux se comprendre, de mieux comprendre leur monde, et par conséquent de le façonner tout en partageant leurs idées« .

Elle [T.Bruce] analyse que la tendance actuelle à rejoindre des groupes partageant les mêmes idées – y compris à l’Église – n’est pas favorable à la croissance de l’empathie. Elle se dit « ravie » du processus synodal, qui devrait rassembler des catholiques de tous horizons idéologiques. » Cet esprit d’engagement et de dialogue est un premier pas essentiel », a-t-elle déclaré. « Je ne pense pas que le résultat de ce processus soit que nous soyons soudainement tous sur la même longueur d’onde. Mais je pense que se rencontrer et se considérer comme des êtres humains et des catholiques est en soi précieux ». « Il y a un don dans l’exercice de l’écoute », a-t-elle ajouté. « Pour moi, c’est déjà un fruit du synode, quoi qu’il arrive ».
Traduction JPF, extraits JPC
2 Mouvement de laïcs pour plus de transparence dans la gouvernance de l’Église
3 Mouvement de laïcs conservateurs
4 Université Notre Dame

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