Le courage de douter et la force de croire d’Odile Ponton

Aux éditions Khartala, février 2024

Après avoir publié en 2020 un ouvrage intitulé Commentaires de textes d’évangiles, Pour une lecture critique et croyante[1], Odile Ponton publie, aux éditions Karthala, dans la collection Sens et conscience, dirigée par Robert Ageneau,  Le courage de douter et la force de croire. Itinéraire spirituel d’une femme libre[2].  Elle y invite à ne pas reculer devant l’épreuve du doute pour mieux affronter les voies d’une foi nouvelle.  Voici l’interview qu’elle a donné à la revue Golias Hebdo.

Golias :Le parallélisme entre le sous-titre du premier (lecture critique et croyante) et le titre du second (douter et  croire) n’invite-t-il pas à voir une continuité entre les deux ouvrages ?

Poton : En effet, ce second livre est la poursuite de l’évolution intellectuelle et spirituelle dont le livre précédent pouvait constituer la première étape. Avec ce premier livre, j’étais entrée dans ce que j’appelle « l’ère du soupçon ». La mise en œuvre, dans l’étude des textes, de ce que tout le monde connaît apparemment dans l’Église, mais que personne n’applique, la lecture historico-critique, m’a conduite au constat que nos représentations de la personne de Jésus, nées de la lecture littérale proposée par le magistère, nous éloignent des origines et nous égarent.

Golias : Vous insistez sur le doute (« Le courage de douter… »). Qu’entendez-vous par ce terme ? Quelle place lui accordez-vous dans ce livre ?

Poton : À partir de ce constat, le doute s’est installé dans mon esprit par rapport à l’enseignement du magistère, le sentiment que nous avons été maintenus dans des visions d’un autre âge, infantilisantes et incompatibles avec les exigences intellectuelles d’un esprit d’aujourd’hui. Refusant le déni, il fallait que ma foi devienne « une foi critique » comme le dit Joseph Moingt, il fallait accepter de me poser frontalement la question de la validité de certaines croyances, de dogmes qui nous sont imposés.
J’aborde quelques uns d’entre eux dans ce livre : le théisme, l’historicité des grands récits de l’Ancien Testament, la mort rédemptrice de Jésus, le péché originel, la conception virginale, les miracles.

Golias : On peut supposer qu’une telle démarche n’est pas facile à assumer dans l’Église catholique. Comment l’avez-vous vécue ?

Poton : Dans ce livre, à la fois autobiographique et didactique, je parle en effet du « courage de douter». Entrer dans cette démarche signifie accepter de marcher sur un sol mouvant où l’on peut perdre l’équilibre à tout moment. C’est remettre en cause des croyances qui paraissaient inébranlables, une institution qui apportait le confort de repères et de rites, enfin une communauté dans laquelle se sont noués des liens fraternels, mais qui ne supporte pas que l’on dévie de ce qui est considéré comme l’orthodoxie.
Cette évolution, je l’ai faite tard, convaincue pendant très longtemps, comme tant d’autres, que deux millénaires de théologie avaient dû répondre à toutes les questions que l’on peut se poser.
Ce fut donc une période très difficile. À ces remises en cause s’ajoutait la conscience aiguë que le fossé entre l’Église et la société était de plus en plus profond. En janvier 2013, l’hystérie qui a gagné l’épiscopat et le monde catholique au moment de la « manif pour tous » a failli être pour moi un moment de non-retour.

Golias : Mais ce moment n’a pas eu lieu. Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?

Poton : Si ces moments de remise en cause sont particulièrement difficiles, c’est que l’on se sent très seul. Ce qui m’a permis de tenir, c’est la rencontre de frères et de sœurs dans la foi, qui traversaient la même remise en cause. D’abord un petit groupe de croyants avec qui nous partageons notre vie et nos questionnements depuis des décennies. Notre foi a suivi la même trajectoire. Ensuite, la découverte déterminante de l’association Croyants en liberté 42, qui fait partie des réseaux du Parvis. Il était enfin possible de regarder en face, dans des débats fraternels, les points du Credo qui ne sont plus audibles et « croyables » pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui.

Golias : Le titre de votre livre fait référence au doute, mais aussi à la foi (« la force de croire»). Comment se fait l’articulation entre douter et croire ?

Poton : Lors de l’assemblée générale des réseaux du Parvis de 2021, qui s’était déroulée dans ma ville, à Saint-Chamond, avait été mis en place un atelier de réflexion autour du thème : Dire Dieu, Jésus et la foi aujourd’hui. Pendant des mois, chaque participant a été invité à dire ce à quoi il n’est plus possible de croire et ce à quoi nous pouvons croire. J’ai pu découvrir quels rejets je partage avec beaucoup. Mais j’ai aussi compris que cette table rase pouvait conduire à une impasse, qu’elle pouvait mettre notre foi en danger. C’est pourquoi, j’ai ressenti la nécessité d’un livre dans lequel je dirais mes doutes, mais aussi sur quoi refonder notre foi.

Golias : Vous avez évoqué ce qu’il n’était plus possible de croire. Sur quoi tentez-vous donc de refonder votre foi ?

Poton : J’aborde là une étape essentielle du livre. Je constate d’abord combien la foi est difficile aujourd’hui. Notre société est marquée par le nihilisme des « maîtres du soupçon », elle oscille entre indifférence et crédulité. Je souligne combien croire suppose maintenant d’exigence intellectuelle et d’ouverture à la spiritualité.

Je me demande ainsi à quel Dieu il est possible de croire, quelle représentation nous pouvons nous en faire. En ce qui concerne Jésus, pour parvenir à son message libérateur, ne devons-nous pas commencer par le libérer des dogmes et du merveilleux dans lequel nous l’avons enfermé ? Ne faut-il pas aussi revoir les représentations de l’évènement central de la foi chrétienne, la Résurrection ? Enfin, je consacre un chapitre à la vie spirituelle et à la prière, qui me paraissent indispensables à une vie croyante.

Mais cette refondation de notre foi n’est possible que parce que nous avons accepté de passer par le doute. J’ai la conviction qu’aujourd’hui notre foi sera d’autant plus forte que nous aurons eu le courage de douter, en  affrontant toutes  les questions, toutes les  remises en cause qui s’imposent aux femmes et aux hommes de notre temps. Notre foi sera d’autant plus forte qu’elle n’aura pas reculé devant l’épreuve du doute affronté dans toute sa radicalité.

Golias : À qui votre livre s’adresse-t-il ?

Poton : Je l’ai écrit d’abord, je dois le dire, pour moi. Après le douloureux décapage que j’ai dû traverser, j’ai éprouvé le besoin impérieux de faire une sorte de bilan pour voir où en était ma foi.
Je sais aussi que beaucoup de catholiques, surtout de ma génération, suivent la même évolution, qu’ils partagent mes rejets ainsi que le désir de ne pas perdre la foi qui les a fait vivre. Ce livre s’adresse à eux, parce qu’il me paraît essentiel de proposer des pistes pour la refondation de la foi.
Enfin, je pense aux générations de nos enfants et petits- enfants. Ils sont en quête de sens. Ils ont et ils auront soif de spiritualité. Faisons en sorte que la spiritualité chrétienne dont nous avons fait l’expérience qu’elle peut inspirer et remplir une vie, puisse leur être de nouveau  proposée dans un langage renouvelé.

[1] Odile Ponton, Commentaires de textes d’évangiles, Pour une lecture critique et croyante, Osmose, 2020.

[2] Odile Ponton, Le courage de douter et la force de croire, Itinéraire d’une femme libre, Karthala, 2024.

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