Journée sur la Fraternité avec Agathe Brosset (1)

L’identité « fraternelle » des disciples de Jésus

Introduction

« Identité » : un mot piégé et piégeant dans l’aujourd’hui de nos sociétés quand il prend la forme de démarche et de recherche identitaire avec des conséquences excluantes. L’identité dont nous parlons ici renvoie à cette réalité anthropologique et sociologique qui fait que chacun de nous se distingue de l’autre en même temps qu’il se reconnaît d’une foncière et fondamentale appartenance : l’appartenance à l’humanité commune laquelle prend visages singuliers à travers le temps et l’espace comme nous le développions ce matin. Cet après-midi nous parlons de l’appartenance à une communauté de disciples de Jésus dont la cohésion est un lien qualifié de « fraternel ».
Je ne voudrais pas que la réflexion que nous allons entamer maintenant sur l’identité »fraternelle » des disciples de Jésus se situe en parallèle de celle que nous avons menée ce matin. L’articulation entre des deux moments de la réflexion se situe, pour moi, dans l’interrogation sur le fondement de la fraternité. Nous l’avons reconnu dans ce qui constitue notre commune humanité, la fraternité structurant dès lors un vivre ensemble
Ce qui nous est proposé dans la tradition chrétienne qui nous rejoint aujourd’hui au travers des écrits du Nouveau Testament c’est d’accueillir la révélation de la vocation de cette humanité. Je l’exprimerai ainsi : participer à l’avènement du monde nouveau selon Dieu (Royaume de Dieu) au fil du temps et de l’histoire, monde de fraternité, de justice et de paix. Monde nouveau où chacun se comporte en frère et sœur et en cela accomplit l’image et ressemblance de ce Dieu qui le marque dès l’origine en son identité singulière et collective. Cette révélation n’apporte pas un plus à l’exigence de fraternité développée ce matin, elle en manifeste l’infinie grandeur et l’inscrit dans l’espérance d’un possible avenir.
Cette identité fraternelle comporte, comme toute identité, une double dimension : la dimension singulière de la relation à autrui et la dimension d’appartenance à une communauté de disciples de Jésus partageant la même suite du Maître. Je développerai donc dans un premier temps la manière dont, au travers des évangiles, Jésus nous reconnaît comme ses frères. Puis me référant à la réflexion de Michel Dujarrier, nous regarderons comment aux premiers siècles l’expérience du vivre ensemble des disciples de Jésus a conduit à le qualifier comme « fraternité ». Enfin nous accueillerons la dimension d’espérance de cette identité à faire advenir en évoquant une « difficile fraternité ».

1 – Le Christ « frère » selon la tradition des évangiles

11 – « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ?

Mc 3,31-35. Arrivent la mère de Jésus et ses frères (adelphoi). Ils font appeler Jésus qui se trouvait dans la maison. Il enseignait la foule. « Ta mère et tes frères sont dehors. Ils te cherchent. » Réponse de Jésus : « Qui sont ma mère et mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis à l’écouter : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu voilà mon frère, ma sœur, ma mère. »
Ce ne sont plus les liens du sang qui justifient la reconnaissance d’une relation fraternelle ou filiale avec Jésus. Est reconnu comme frère et sœur de Jésus tout celui qui se met à son écoute. On ne peut plus se prévaloir du lien de parenté, si l’on demeure à l’écart de celles et ceux qui se mettent en attitude de disciple écoutant l’enseignement du maître et le mettant en pratique. Est reconnu par Jésus comme son frère et sa sœur, celui ou celle qui se conforme à son attitude à l’égard de Dieu, à savoir accomplir sa volonté, son désir sur nous et sur l’humanité. Désir, volonté que les contemporains de Jésus nommaient volonté d’alliance, partage de vie avec Dieu.
Le texte correspondant en Luc (8,19-21) donne à entendre que sont mère et frère de Jésus ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique. Echo direct à la parabole de la semence et à son interprétation qui précède le passage sur la fraternité. « Le semeur sorti pour semer sa semence…. La semence c’est la Parole de Dieu, ce qui est dans la bonne terre ce sont ceux qui entendent la Parole dans un cœur loyal et bon et la retiennent et portent du fruit à force de persévérance. »
Frères et sœurs de Jésus donc, ceux dont les oreilles, les yeux et le cœur s’ouvrent aux paroles et aux manières de faire et d’être de Jésus et qui se laissent transformer par ce qu’ils voient et entendent. Et je souligne que c’est Jésus qui reconnaît ses frères et sœurs. Ce n’est pas nous qui nous donnons cette identité.

12 – Le Christ « frère » selon l’évangile de Jean

Nous commençons par une scène spécifique à Jean : Jn 19,25-27. Au pied de la croix de Jésus, se tiennent sa mère et le disciple que Jésus aimait (agapè). Remarquez le vocabulaire : Femme, et non maman , vois ici ton fils. Ainsi Jésus identifie-t-il le disciple à son frère. Ce que corrobore la 2ème partie de la révélation : vois ici ta mère. A compter de ce jour, dit le texte, le disciple l’accueille chez lui. Je voudrais relier l’expression « le disciple que Jésus aimait » au long texte que constituent les chapitres 14-17 de ce même évangile qui précèdent la passion et la mort de Jésus.
Jn 13,34-35 : « Comme je vous ai aimés aimez-vous les uns les autres, en ceci vous serez reconnus comme mes disciples ». Jn 15,12-13 : « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime…je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis. » Au moment de mourir, Jésus se déclare le frère de celles et ceux qu’il aime au point de donner sa vie pour eux. Chacun peut dès lors se reconnaître dans « le disciple que Jésus aimait » ;
Plus explicitement encore, l’évangéliste mettra dans la bouche du Ressuscité cette affirmation de fraternité. Lors de sa manifestation à Marie, dans le jardin du tombeau : « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père qui est votre Père » et Marie va porter le message aux disciples. Il ne s’agit pas là simplement de la réconciliation des hommes entre eux, mais de l’entrée des disciples dans une relation nouvelle avec le Père qui ne fait qu’un avec la sienne propre.
Le lien qui unit les disciples de Jésus à Jésus lui-même est un lien de fraternité qui prend forme dans le fait que les disciples s’accordent à la manière d’être homme de Jésus, une manière d’aimer tout un chacun jusqu’à donner sa vie, manifestant en cela l’amour de Celui qu’il appelle son Père. Père qui l’a envoyé dans le monde pour que nous sachions de quel amour tout être humain est aimé sans discrimination aucune.

2 – La communauté des disciples de Jésus désignée comme « Fraternité » aux 1ers siècles

21 – Deux termes : ecclesia et adelphotès

Pour distinguer la communauté et le vivre ensemble des disciples de Jésus, les écrits du Nouveau Testament utilisent 2 termes grecs : ecclesia que nous traduisons « église » et adelphotès que le latin traduit fraternitas et donc pour nous « fraternité ». Ces deux termes qualifient la communauté en tant que telle, ce que j’ai appelé tout à l’heure l’identité collective liée à la reconnaissance de l’appartenance à un groupe qui se définit comme tel.
Le terme « ecclesia » était un mot commun dans la société grecque. Il désignait toute assemblée de personnes rassemblées, convoquées en vue d’un objectif précis. Les chrétiens l’utiliseront pour spécifier la communauté qu’ils constituent, rassemblée de par l’action de l’Esprit du Ressuscité, convoquée par l’appel de Dieu. Elle a couleur locale au sens où Paul l’emploie dans la plupart de ses lettres (relire les salutations des débuts et fins des lettres de Paul). Il salue l’Eglise qui se réunit chez un tel ou un tel. Il salue également l’Eglise de Dieu qui est à tel ou tel endroit précis : Rome, Corinthe, la Galatie, etc. Ainsi se trouve liée l’universalité d’un appel à la particularité qu’il prend localement.
Le terme « adelphotès » n’existait pas dans le vocabulaire grec. C’est un mot fabriqué par les auteurs chrétiens, du grec de bas étage pour ainsi dire parlé par des latins peu soucieux de grammaire. Ce terme spécifique répond à l’intention de souligner que le lien qui unit les membres de la communauté est un lien fraternel fort. Son correspondant en latin est justement le mot « fraternitas ». Adelphotes est moins fréquemment utilisé dans les écrits du Nouveau Testament que « ecclesia ». Mais il continue d’être employé aux premiers siècles en particulier chez les Pères de l’Eglise

22 – Un regard sur 2 textes : la 1ère lettre de Pierre et la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens

Ces deux textes sont de la même époque, la toute fin du 1er siècle.
1Pi 2,17 Honorez tous les hommes, « aimez vos frères » : adelphatèta agapate – fraternitatem diligite
Il faudrait traduire : « Aimez d’un amour d’agapè la fraternité, » c’est-à-dire la communauté des frères
1Pi 5,8 Résistez à l’adversaire le diable, fermes dans la foi, sachant que les mêmes souffrances sont réservées à vos frères dans le monde : adelphatèti – vestra fraternitati.
Dimension universelle de la fraternité à travers le monde
Nulle part dans cette lettre de Pierre ne se trouve le mot « ecclesia » pour désigner la communauté des disciples de Jésus. Pour l’auteur, cette communauté est identifiée à une communauté de frères et de sœurs, équivalemment une « fraternité ». Et c’est cette fraternité à la fois locale et universelle que Pierre demande d’aimer de l’amour même de Jésus qui va jusqu’à donner sa vie.
La lettre de Clément de Rome aux Corinthiens.
L’Eglise de Dieu en séjour à Rome écrit à l’Eglise de Dieu en séjour à Corinthe. Là où Paul écrit « ecclesia », Clément, évêque de Rome, écrit « adelphotès ». Il dit la même exigence de l’amour fraternel (philadelphia) comme signe concret de l’appartenance à l’Eglise. Clément ne dit jamais « mes frères » ou « mes bien aimés » (expressions que l’on trouve dans les lettres de Jean 1Jn 4,1.7.11 etc) parce qu’il n’écrit pas en tant qu’individu mais en tant que porte-parole d’une communauté qui s’adresse à une autre communauté et qui dialogue avec elle dans une parfaite égalité de dignité et avec un profond souci de correction fraternelle.

23 – Les deux sens du mot « fraternité »

La langue française n’a qu’un mot « fraternité » pour désigner l’Eglise comme Fraternité et pour désigner le lien particulier entre deux êtres humains qualifiés de frère ou sœur. Ce mot correspond au mot latin « fraternitas » qui signifie à la fois la communauté des frères et la vertu de fraternité, celle que nous évoquions ce matin dans la devise républicaine. La langue grecque utilise 2 mots différents : adelphotès qui désigne la communauté des frères et philadelphia qui désigne spécifiquement l’amour du frère qui prend une résonance particulière chez les chrétiens qui se saluent et s’identifient comme frères et sœurs les uns des autres. L’épitre de Pierre que nous évoquions tout de suite l’utilise 3 fois : 1Pi 1,22 ; 2Pi 1,7. Il invite les chrétiens à être animés d’un amour fraternel les uns à l’égard des autres ; on peut remarquer une progression dans cette manière de se comporter dans la 2ème référence (2Pi 1,5-7). Cette philadelphia, cet amour fraternel est évoqué aussi en 1Th4,9 ; Rm 12,10 ; He 13,1 etc. La source de cet amour fraternel se situe dans l’amour dont Dieu aime (agapè) et dont nous apprenons à nous aimer les uns les autres. Cet amour fraternel est caractéristique du comportement chrétien (c’est à cet amour qu’on vous reconnaitra pour mes disciples Jn 13,15) mis en relation avec la foi et le baptême (1Pi 1,22-23) comme exigence découlant de l’incorporation à l’Eglise-Fraternité, à la fois locale et universelle et que Pierre demande d’aimer d’un amour-agapè.
Dans les Actes des apôtres, « frères » est le premier donné aux disciples du Christ, bien avant celui de croyants, adeptes de la Voie (Ac 9,2), saints (Ac 9,13) ou chrétiens (Ac 11,26). Et c’est le plus courant dans le texte lucanien. On trouve 3 types d’usage de ce terme : 1 – les frères indique la communauté rassemblée ; 2 – les frères de tel lieu correspond à l’Eglise de ce lieu ; 3 – « frère » utilisé sans adjectif possessif qualifie l’identité de celui à qui l’on s’adresse.
Quoi qu’il en soit de la diversité des termes : Eglise, Fraternité, frères, il est important que nous les prenions non pas comme définissant de manière exhaustive la communauté des disciples de Jésus. Chacun de ces termes est important en ce qu’il ouvre un chemin de compréhension de cette réalité mystérieuse qui prend chair dans l’espace et le temps à travers le témoignage que porte cette communauté. Le concile Vatican II, dans la constitution Lumen gentium utilisera 3 termes : Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple de l’Esprit. Tous ces termes et images ne s’opposent, ne s’excluent pas. Ils demandent à être articulés ensemble pour que nous entrions par ces divers chemins dans le Mystère du don Dieu qui nous est fait en Jésus Christ et qui nous constitue frères et sœurs en lui.

3 – Le fondement de la fraternité chrétienne

Le terme de « frère » pour qualifier la relation entre membres d’un peuple n’apparaît pas avec Jésus et la communauté de ses disciples. Il est présent dans les textes du 1er Testament. Souventes fois, Dieu est nommé comme Dieu des pères, Dieu d’Abraham, d’Isaac, Jacob ce qui constitue les juifs croyants comme frères en tant qu’appartenant au lignage d’Abraham, le père des croyants. Dans le Deutéronome on trouve 48 fois le mot « frère ». Et il y est souligné que la relation fraternelle doit caractériser le comportement des membres de l’Alliance. Quelle révélation nouvelle apporte donc Jésus ? En quoi nous est-il donc frère d’une manière unique qui nous constitue frères les uns des autres ?

31 – Rm 8,14-17.28-30 : « vous avez reçu un esprit d’adoption »

Lire le texte et se faire attentif aux mots utilisés :
« Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu… vous avez reçu un esprit d’adoption grâce à qui nous crions : Abba, Père ! (cf Mc 14,36) … enfants et donc héritiers de Dieu le Père, cohéritiers de Christ… appelés selon le dessein de Dieu, destinés conformes à l’image de son fils… pour que celui-ci soit le premier né d’une multitude de frères. »
Revenons au premier terme : un esprit d’adoption. Nous avons coutume de l’entendre au sens d’adoption filiale. Et s’il s’agissait d’une adoption en fraternité ? Celle-ci était courante dans l’antiquité mésopotamienne dès 1500 ans avant JC. Cette pratique juridique demeurait courante et était bien connue au 1er siècle. Elle était donc connue de Paul et des Romains. Nous entendrions alors dans la lecture de ces versets, que c’est en nous adoptant comme ses frères et sœurs que le Christ nous a rendus héritiers de son Père. L’adoption en fraternité va de pair avec le co-héritage. Si tout baptisé hérite de la vie du Père, c’est parce qu’adopté en fraternité par le Christ, celui-ci le fait participer à l’intimité de son Père et ce, par le don de l’Esprit qui nous fait crier, à la suite de Jésus : Abba, Père !
Le dessein de Dieu est que nous soyons conformes à l’image de son fils, lui-même « image du Dieu invisible » (Col 1,15) « Il ne s’agit pas là d’une simple ressemblance, ni d’un rapport de similitude, mais d’une véritable participation… Par l’Esprit, le baptisé est réellement conformé avec le Christ au point de devenir son frère en vie divine… Cette conformité est intérieure, intime et vitale puisque Paul n’hésite pas à écrire aux Galates : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi »(Ga 2,20) (M.Dujarrier, Eglise-Fraternité, p.134)

32 – Christ Premier Né

En tant qu’initiateur de notre foi et qui la conduit à son achèvement (He 12,2)
– Premier-Né d’une multitude de frères (Rm 8,29)
Nous sommes destinés à être conformes à l’image du Fils, de telle sorte que le Christ devienne le Premier-Né d’une multitude de frères. Nous sommes là dans une perspective eschatologique, dans la perspective d’un devenir objet d’espérance comme l’exprime Paul dans les versets qui précèdent (Rm 8,23) « Nous qui possédons les prémices de l’Esprit nous gémissons intérieurement attendant l’adoption. » Et pourtant l’adoption est là, l’Esprit est donné, dès maintenant nous sommes fils, enfants, héritiers, cohéritiers et, en même temps ce salut est objet d’espérance. C’est la tension spécifique au régime chrétien du « déjà là » et du « pas encore ». Christ est déjà le Premier-Né d’une multitude de frères et cela n’est pas encore totalement accompli.
– Premier-Né de toute créature et Premier-Né d’entre les morts (Col 1,15-18)
Rrelier à He 1,6
33- La médiation du Christ (Ep 1,3-13
V.5 : fils adoptifs de Dieu par la médiation du Christ. Souligner l’importance de la préposition « en ». « En Christ », 8 fois dans le texte. Importance de cette médiation du Christ par laquelle nous advient la révélation de notre identité première, fondatrice. Adoptés par le Christ comme frères, c’est en lui, par lui, avec lui que nous avons part à la vie même de celui dont il est le Fils unique et bien aimé. Celui qui, en Jésus nous reçoit comme ses enfants.
Que conclure de ce rapide parcours au travers de quelques textes du Nouveau Testament ? En logique théologique, ce n’est pas parce que nous sommes fils du Père que nous devenons frères du Christ et donc frères les uns des autres. Mais c’est bien plutôt parce que Christ nous a adoptés en fraternité, ce que confirme l’Esprit d’adoption reçu dans la célébration du baptême au nom du Seigneur Jésus, que nous pouvons nous reconnaître et nous recevoir comme fils du Père. Pour que Dieu nous regarde et nous traite comme ses fils, il fallait que son Premier-Né nous adopte d’abord comme ses frères. « Par le Christ nous avons accès les uns et les autres auprès du Père. Ainsi… nous sommes membres de la famille de Dieu » (Ep 2,18-19)

4 – La difficile fraternité

Elle s’enracine dans la dialectique du « déjà là» et du « pas encore », c’est pourquoi bien que difficile, elle n’est pas désespérante. En Christ, le premier né, tout est accompli. Adopté par lui en fraternité, nous partageons le même Esprit fraternel et filial et nous savons à quel héritage nous sommes promis et avons déjà accès. Mais ceci doit prendre corps et chair dans l’histoire, notre histoire singulière et l’histoire de l’humanité. Ce qui doit prendre corps c’est la fraternité sous un double aspect.
– Comme témoignage du vivre ensemble de ceux qui se reconnaissent disciples de Jésus, qui reçoivent de lui la qualification de frères, ses frères et frères les uns des autres
– Comme réalité quotidienne du lien à tout un chacun, disciple ou non.
Difficile fraternité dont témoignent les évangiles et les récits de vie des premières communautés. J’évoquerai simplement deux paraboles et la remontrance de Paul aux Corinthiens
La parabole du bon samaritain (Lc 25-37)
Ce qui m’importe ici et maintenant c’est l’inversion par Jésus de la question posée par le légiste. « Qui est mon prochain ? »
« Qui s’est montré le prochain de l’homme dépouillé, roué de coups, laissé à demi mort ? » Il ne suffit pas de voir, encore faut-il s’approcher, se laisser toucher, prendre soin voire confier le prendre soin au prix d’être détourné de son propre chemin, de l’urgence pour laquelle on était en route.
La parabole du père prodigue (Lc 15,11-32)
Qui emploie le mot « fils » ? Qui emploie le mot « frère » et avec quel qualificatif possessif ?
Un homme avait 2 fils. Quelle que soit leur attitude, il demeure leur père et se comporte comme tel. Le fils ainé refuse la fraternité et le père ne cesse de lui proposer la fraternité. « ton » fils / « ton » frère
Echos des querelles entre les disciples de Jésus (Mc 9,33-35 ; 10,35-45)
La mémoire du repas du Seigneur dans les Eglises de Corinthe (1Co 11,18-34)
Ce n’est pas discerner correctement le Corps du Seigneur que de partager le pain et la coupe en mémoire du don de sa vie par amour si, concrètement, on se comporte comme un dévoreur de ses propres frères, si on ne se comporte pas comme frères dans un partage de ce que l’on a avec tout un chacun.
On pourrait aussi relire au travers de quelques récits des Actes des apôtres le chemin de la difficile fraternité avec les païens qui, pourtant, tout comme les premiers disciples issus du monde juif, avaient reçu le don de l’Esprit….

Une conclusion qui relie les deux moments de la réflexion.
Les situations d’hospitalité et de commensalité que nous proposent les Ecritures mettent en évidence que, de la part de Jésus et dans le désir de Dieu, tout être humain doit être reçu, accueilli, considéré avec le même respect. Chacun a égale dignité à leurs yeux, dignité de frère, dignité de fils, tous autour de la même table, sans distinction de rang. Et si préséance il doit y avoir, elle sera pour les moins considérés aux yeux du monde. Après le départ de Jésus, la communauté de ses disciples a été comme poussée par l’Esprit pour entendre que le païen, le plus éloigné de l’univers religieux juif, était frère et fils autant que chacun d’eux. Il pouvait être reconnu disciple à part entière et avoir place sans restriction ni discrimination à la table domestique et eucharistique. Le compagnonnage avec Jésus, par la médiation des Ecritures lues, relues, méditées et partagées ensemble, se trouve être à la naissance du lien de fraternité en Christ, au vu du témoignage des « sommaires » des Actes
Il est intéressant de noter également que, dans les discours qui lui sont attribués, Pierre s’adresse à ses auditeurs en les appelant « frères » (Ac 2, 29 ; 3, 17), – lesquels lui renvoient l’appellation (Ac 2, 37) – de la même manière qu’il nomme les 120 disciples réunis dans la chambre haute, avant Pentecôte (Ac 1, 15-16). Tous ceux-là se reconnaissent frères dans la même foi au Dieu des Pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Dans le mouvement de cette foi, ils demeureront frères en accueillant l’annonce que Dieu accomplit sa promesse en Jésus le Nazaréen, qu’il confirme comme Christ et Seigneur, en le relevant de la mort. Cette fraternité chrétienne, dans la mesure où elle est reconnue à vocation universelle, conduit, comme à sa source première, à la découverte d’une fraternité plus originelle, celle qui permet d’accueillir la sacramentalité de la vie, l’inscription du Verbe en toute créature et en toute création. Elle qualifie un mode de rencontre dans le respect et la reconnaissance d’une égale dignité, elle-même proclamée par la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». C’est dire que la qualification de frère s’origine dans l’humanitude . Lorsqu’elle arrive aux lèvres pour saluer l’autre, elle dit l’acceptation de ce lien originel entre les hommes et active la décision de donner chair et corps social à cette fraternité. Pour le chrétien, elle porte le vœu qu’elle s’accomplisse comme chair du Royaume.

 

Lire la suite de la Journée Agathe Brosset du 7 novembre 2015, avec l’approche anthropologique et les 3 textes étudiés en atelier.

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