Jeudi saint : fête des prêtres mais quels prêtres ? Texte de Jean Rouet, vicaire général de Bordeaux

Je m’interroge après 47 ans de ministère :

Que donnons-nous à voir ? Dans nos assemblées, il y a ceux qui sont en bas et ceux qui sont en haut, il y a ceux qui sont dans le chœur et ceux qui n’y ont pas droit, il y a ceux qui ont droit seulement au pain eucharistique et ceux qui ont droit au pain et au vin, il y a ceux qui peuvent servir à l’autel et ceux qui ne peuvent servir que l’assemblée, il y a les fidèles et les clercs comme si les clercs étaient dispensés d’être fidèles. Les marques de séparation sont extrêmement visibles, comme s’il ne fallait pas se mélanger les uns aux autres, comme si il en avait qui étaient supérieurs aux autres. Le jeudi saint le président de la célébration lave les pieds de douze fidèles mais le reste de l’année il est en position dominante. Il préside à toutes les décisions comme s’il était le seul à pouvoir décider. Jésus indique la direction, accueilli la parole du Père pour s’en faire l’écho, donne sens à ses actes.
Peut-on imaginer une manière de célébrer qui parle davantage de notre égale dignité baptismale avec l’homme à la main desséchée et l’enfant au centre de tous les regards ?

Que donnons-nous à entendre ? Nous sommes friands de titres en tous genres : les saintetés, béatitudes, éminences, excellences, messeigneurs, abbés, révérends pères, archiprêtres, doyens, chanoines, chapelains et j’en passe et des meilleures …”Il nous faut imiter notre Seigneur Jésus Christ en reprenant notre vraie place. Pas celle des honneurs et des ronds de jambe, des « Monseigneur », des « cher Père », des « M. l’abbé », des postures et des plateaux de télé. Il nous faut retrouver la place de l’humble serviteur comme le Christ né pauvre dans une étable. Imiter le Seigneur qui est « venu pour servir et non pour être servi » (Mt 20,28). “ déclarait l’archevêque de Paris en mars 2019.

Je rêve que, tous, nous ayons le même titre de “frère” ou de “soeur” : frère cardinal, frère évêque, frère curé, frère prêtre ….

Mais alors comment ne pas être dans la confusion ? Comment indiquer à l’Église son architecture ? Sa colonne vertébrale c’est le Christ, c’est lui qui nous tient ensemble et lui seul, “hors de lui nous ne pouvons rien faire.”
Je rêve que nous sachions démultiplier les ministères et les charges sans faire de différences entre les hommes et les femmes mais en tenant compte des dons de chacun. Le ministère sacerdotal concentre tout, il faut le dégager de ce carcan totalitaire. Pourquoi faut-il qu’il soit institué obligatoirement lecteur ou acolyte avant l’ordination au presbytérat. Faut-il qu’il soit tout ? Pourquoi des femmes ne prêcheraient-elles pas si elles en ont le don et les connaissances acquises pour cette charge ? Pourquoi seulement les hommes auraient-ils la capacité de servir l’unité et la communion dans la vie des communautés ? Ce n’est pas en ordonnant des femmes prêtres que l’on changera le modèle c’est en repensant la diversité des ministères à partir de ce que les Églises vivent déjà que nous trouverons de nouveaux chemins. La finalité n’est pas que l’Eglise soit bien organisée mais que l’Église soit davantage équipée pour servir la mission. La primitive Église était plus inventive : “Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter. Recherchez donc avec ardeur les dons les plus grands.” (I Cor. 12, 27-31) À aucun moment dans ce passage il n’y a de distinction de sexe ou de provenance mais seulement la recherche des dons.
Reste dans cette symphonie des ministères à situer avec plus de clarté celui qui signifie la paternité de Dieu révélée par le Christ. S’il y a des frères et des sœurs c’est qu’il y a une source commune, “un Dieu père aux entrailles de mère” ! (Isaïe 49, 9-21) Telle est la vocation du frère prêtre dans le corps tout entier sacerdotal de l’Église. Il est un sacrement en sa personne même, dans l’Eglise sacrement. Il est ordonné à signifier le Christ, le Fils unique et “le premier d’une multitude de frères”. Mais le Christ n’est jamais seul, sa première tâche au début de sa vie publique c’est d’en appeler douze “pour être avec lui”. Jésus le bon pasteur s’adjoint des apôtres pour faire signe par le don total de soi de l’amour inconditionnel du Père. Le pasteur prend soin, nourrit et guide le troupeau. Le chapitre 10, de Saint Jean en souligne les principales qualités : ” Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.” (Jean 10, 11-15) Plus que d’une perpétuelle présidence en tout domaine, le texte évangélique souligne la qualité de relations avec les membres du troupeau et le don total de soi. Présider est donc tout un art dans lequel s’exprime le rassemblement fraternel, le soin apporté les uns aux autres, l’attention de celui qui préside à la place de chacun, la qualité des prises de paroles, l’humilité du serviteur qui nourrit le peuple de frères et de sœurs de la parole et du pain. Pasteur ? oui, selon le cœur du Christ qui est doux et humble.
Donne-nous Seigneur des pasteurs selon ton cœur !

Jean ROUET

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