Anne Soupa candidate singulière à l’archevêché de Lyon

Paroles de femmes dans Le Monde :  Des femmes catholiques solidaires du combat d’Anne Soupa

La candidature d’Anne Soupa au siège d’archevêque de Lyon suscite de nombreuses réactions de soutien, moins pour sa nomination, improbable, qu’en faveur de son combat pour une Eglise plus féminine.

Candidate à la succession de Philippe Barbarin à la tête de l’archidiocèse de Lyon, Anne Soupa n’a, sauf miracle, aucune chance d’accéder à cette fonction, dont les titulaires ne candidatent pas et sont nommés par le pape. Elle peut, en revanche, compter sur le soutien de nombreuses femmes catholiques. Croyantes anonymes, pratiquantes ou non, elles se sont manifestées par centaines sur les réseaux sociaux pour la féliciter et l’encourager. Ce n’est pas tant sa nomination comme archevêque qu’elles soutiennent, mais les convictions et les combats qui motivent sa candidature, notamment pour une plus grande présence des femmes dans l’Eglise. En quoi elles sont rejointes par d’autres femmes catholiques, déjà engagées sur ce terrain.

A l’exemple de Véronique Margron, très écoutée aussi bien à l’intérieur de l’Eglise, comme théologienne dominicaine et présidente de la Corref (Conférence des religieuses et religieux de France), qu’à l’extérieur, depuis ses franches condamnations des dérives de l’institution liées aux abus sexuels. « Anne Soupa pose de très bonnes questions, notamment celle du manque de pluralité dans l’Eglise catholique et de la faible présence de femmes dans des postes à responsabilité. Je partage entièrement son diagnostic. » Quant à la démarche, si Véronique Margron pense que « ce n’est pas en nommant des femmes à tous les postes de pouvoir que l’on résoudra une crise de l’institution autrement complexe, car systémique et augmentée d’un facteur délicat à manier, le sacré », elle en salue « la fraîcheur et l’humour ».

Un débat nécessaire

Constat partagé par Marie Mullet-Abrassart, présidente des Scouts et Guides de France (SGDF) : « J’ai trouvé qu’elle avait du culot, souligne-t-elle. Elle sait qu’elle porte une part de provocation et qu’elle risque de s’en prendre plein la figure, mais elle permet de rouvrir un débat nécessaire sur la place des femmes et des laïcs dans l’Eglise ». En 2017, en devenant à 33 ans la présidente de ce mouvement d’Eglise de 88 000 adhérents, Marie Mullet-Abrassart entamait une deuxième carrière, après celle de DRH chez Danone. Ce qui lui donne une vision assez large du sujet. « Il faut éduquer les filles et les garçons à prendre des responsabilités, dans l’Eglise comme partout ailleurs, indique-t-elle. Car il y a ce que le système ne permet pas, mais il y a aussi nos propres peurs et celles de nos entourages, même bienveillants, sur notre capacité à pouvoir tout mener de front. Quand j’ai été nommée présidente des SGDF, on m’a souvent demandé : “Mais comment vas-tu pouvoir tout gérer ?” On n’aurait jamais posé cette question à mon mari. »

« L’Eglise ne veut pas faire l’effort de revoir ses traditions de peur de… de quoi en fait ? »

La peur de mener plusieurs chantiers de front, et notamment celui des réformes de l’Eglise catholique, Anne Guillard ne semble pas la connaître. Doctorante en philosophie politique à Sciences Po Paris et en théologie à l’université de Genève, elle a coécrit en 2019, avec le journaliste Laurent Grzybowski, Une autre Eglise est possible ! (Temps Présent), et créé dans la foulée, avec trois autres femmes trentenaires, une plate-forme numérique « féministe et intersectionnelle », Oh My Goddess !, dont le premier projet est un podcast, « Bonne Nouv. elle, la parole inclusive du dimanche », sur lequel « du premier dimanche de l’Avent au jour de Pâques, un(e) invité(e) donne à entendre l’homélie chaque semaine ». « Ma première réaction en apprenant le geste d’Anne Soupa a été de me dire : “Génial !”, s’enthousiasme-t-elle. Sa candidature fait un joli pied de nez au processus traditionnel de nomination des évêques par la papauté. J’aime beaucoup l’équilibre trouvé dans cette “désobéissance civile” et cordiale. » Sur le fond, « elle exprime clairement le fait que les femmes revendiquent leur droit à être le ferment de libération que constitue l’Evangile au sein d’une institution qui refuse de leur laisser des moyens pour cela. On a l’impression que l’Eglise ne veut pas faire l’effort de revoir ses traditions de peur de… de quoi en fait ? »

La même expression, « Génial ! », a été choisie par une pionnière de la lutte pour une meilleure place des femmes dans l’Eglise, la journaliste et essayiste Monique Hébrard. « Je connais Anne, elle a le don de faire des coups, confie-t-elle. Et celui-ci est à la fois absurde, car on ne candidate pas pour être évêque, et génial. Cela fait quarante ans que je me bats sur ces questions, et sur l’essentiel il faut bien constater que ça ne bouge pas. On en est toujours à un cléricalisme sacralisé, à un ministère de prêtre qui est beaucoup plus héritier des rites païens et d’une anthropologie misogyne que de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. »

Dans son épopée, Anne Soupa peut aussi compter sur la sororité œcuménique d’autres chrétiennes, à l’image de Nathalie Nehlig, pasteure de L’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Moselle : « Je ne peux que vous encourager dans votre combat. Persévérez ! », l’encourage-t-elle.

Hérétique

Tous ces soutiens permettront sans doute à Anne Soupa de relativiser la violence des attaques dont elle a été la cible, notamment sur les réseaux sociaux. De la part d’hommes, à l’image de cet aumônier militaire qui, sur la page Facebook d’un éditeur catholique, la qualifie de « connasse » et un de ses soutiens de « détraqué ». Véhémence de la part de femmes, également, dont certaines n’hésitent pas à en faire une « hérétique » ou à invoquer « le diable ».

Face à l’hostilité de courants traditionalistes et à la pesanteur propre à cette ancienne et hiérarchique institution qu’est l’Eglise, certaines femmes en appellent néanmoins à une méthode différente de celle qu’a choisie Anne Soupa : plus mesurée, patiente et en adéquation avec le jeu des possibilités. « Si l’on décidait dès demain d’ordonner des femmes prêtres, il y aurait un schisme, redoute Monique Hébrard. Il y a un point sur lequel on pourrait avancer, c’est le partage de la parole. Par exemple en permettant aux femmes de faire des homélies. » Marie Mullet-Abrassart se félicite, pour sa part, que de nombreux et puissants mouvements d’Eglise soient dirigés actuellement par des femmes : les SGDF, le Secours catholique, le CCFD-Terre solidaire, le MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) et encore les influentes Semaines sociales de France.

Elle indique aussi qu’après la publication dans La Croix, en 2018, d’une tribune dans laquelle elle appelait à « la nécessaire conversion radicale d’une Eglise qui doit donner toute sa place aux femmes, aux jeunes et aux laïcs, partout et à tous les niveaux », et à la suite du choc des révélations d’abus et crimes sexuels commis par des prêtres, des dizaines d’organisations catholiques ont décidé de se rassembler dans une structure commune, Promesses d’Eglise, qui se réunit désormais régulièrement et rencontre les évêques pour les faire progresser sur certains sujets, dont « le rôle des femmes », « l’égale dignité des baptisés » ou « la lutte contre les abus sexuels ». « Je pense que ça bouge, et que c’est la vitesse, trop lente, qui est frustrante », constate-t-elle.

Véronique Margron s’inspire, de son côté, d’un très ancien mode de désignation des évêques, en vigueur dans les premiers siècles du christianisme, par acclamation des fidèles, pour avancer une proposition. « Evidemment pas pour le reproduire à l’identique, dit-elle en souriant, car ce serait assez ridicule et cela renforcerait un des travers actuels, celui de la personnification du pouvoir, mais pour donner toute sa place à la communauté des croyants. Pourquoi ne pas réfléchir à une organisation où la communauté locale, composée des laïcs et des prêtres, serait consultée, non pas sur un nom ou sur un portrait-robot de l’évêque idéal, mais sur les besoins réels du diocèse ? Ce qui rendrait d’ailleurs service aux hommes – pour l’instant – que l’on nommerait. Si l’on pouvait instituer une telle procédure, ce serait déjà magnifique ! »

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