5 décembre 2020 Première conférence

Présentation-Animation : Paule ZELLITCH-présidente de la CCBF

 

Introduction générale  de ce grand débat par Paule ZELLITCH

Visionner la conférence

Dans l’actualité du confinement trois mots accolés : Confinement, Célébrations, Communautés. Ces confinements ont, en Église, à la fois, généré du neuf et révélé de puissants clivages…Un courant cléricalo-centré a focalisé sur la messe, défrayé la chronique… Dans un entretien accordé à la La Civiltà Cattolica (revue semi-officielle du Saint-Siège) et traduit en français, le nouveau secrétaire général du futur synode des évêques Mgr Mario Grech, s’en inquiète et parle d’ « analphabétisme spirituel », de « cléricalisme », de « foi immature »(Pour lui, l’Église doit tirer les enseignements du confinement en changeant ses « modèles pastoraux » et en réhabilitant « l’Église domestique… »).

Ce temps, sans consécration liturgique, certains parlant de retraite, a fait réfléchir de nombreux catholiques à la manière de faire Église autrement, avec une attention particulière aux liens fraternels, confinement oblige.  Certains ont organisé, par médias interposés (zoom ou autres systèmes) : des partages d’évangiles, des temps de prière, suivis ou pas de grignotages partagés à distance corporelle, ce qui a généré une jolie proximité des cœurs, en particulier avec les personnes isolées. Ils se sont souvenus de la tradition juive qui célèbre la pâque et le shabbat dans des maisons ouvertes à l’invité de passage, de la première cène, de l’envoi de l’Esprit à la Pentecôte, qui se déroule dans des maisons. Ils se sont souvenu du chapitre 2 des Actes des Apôtres où il est question de ceux qui ‟rompaient le pain à la maison et mangeaient leur nourriture avec un cœur généreux.” Et comme en France, dans certains diocèses,  on ferme  des églises plutôt que de les mettre à la disposition des chrétiens qui souhaitent organiser des temps de prière, des partages d’évangile, des rencontres communautaires, alors beaucoup se mettent en route car ils ont, soit eu l’intuition, soit expérimenté que d’autres célébrations que celle de l’eucharistie dans une église sont possibles, à la maison ou dans différents lieux. Comme vous le savez, la Conférence Catholique des Baptisé-e-s   est soucieuse des conditions indispensables à une permanence chrétienne. Elle ne cherche pas à imposer des modèles mais plutôt à ouvrir et accompagner des initiatives prometteuses pour l’Église toute entière. Le confinement a creusé un nouvel écart et donc on parle d’une nouvelle chute du nombre des pratiquants habituels (30%) et il est question, dans certains articles, de 2% de pratiquants réguliers, la chute est vraiment importante. C’est donc tout naturellement qu’elle propose cette première réflexion, qu’elle partagera largement, de quoi faire avancer le chantier des célébrations.

Cette suite de célébrations n’a-t-elle pas mis en exergue l’importance d’une intelligence spirituelle, à la fois profonde, audacieuse et collective, pour affronter la nouvelle donne ?

 Cette session se déroulera en deux parties avec des focus différents :

Première partie : « Célébrations des premiers siècles- célébrations en temps de confinement »             

 Actuellement seulement les exposés de Roselyne Dupont-Roc (1èrepartie) et de Jean-Pol Gallez (2èmepartie) sont ici retranscrits- Allez écouter l’intégralité de ce grand débat…

 Extrait de la 1ère partieExposé de Roselyne Dupont-Roc :

Célébrations des premiers siècles

Normalienne-Agrégation de grammaire-Licence canonique en théologie

Diplôme supérieur d’études bibliques

et de l’École des langues et des civilisations de l’Orient ancien.

1987-2011 : enseignante en grec et exégèse du Nouveau Testament

à l’Institut de théologie de la faculté catholique de Paris

Exposé inspiré d’un travail de plus de deux ans d’une équipe et venant d’aboutir à une encyclopédie : « Après Jésus. L’invention du christianisme »

Deux moteurs de cette recherche : l’application d’une rigueur historique et l’espoir de trouver des éléments susceptibles de nous aider pour aujourd’hui…

Brièvement : ce que nous n’attendions pas et ce que nous avons découvert :

Nous n’attendions pas un retour à l’origine, ce qui ne veut rien dire, selon mon avis. L’origine s’avère imprenable car toujours recouverte par des commencements multiples et multiformes qu’on essaye toujours de reconstruire. Ce sont ces commencements que nous avons voulu interroger.

Et ce que nous avons découvert, c’est une énorme créativité, un potentiel étonnant d’expressions de la vie et de la foi chrétienne : des tout petits groupes chrétiens dispersés et  dynamiques, car ils témoignaient d’un vivant qui leur insuffle  sa vitalité toujours renouvelée et qui les pousse à l’annoncer toujours plus loin.

Au fond, que sait-on de ces débuts du christianisme ?

On l’imagine encore, et c’est enseigné aujourd’hui dans les manuels scolaires officiels de classe de seconde, on l’annonce comme une religion qui est née toute constituée !

Selon la vision triomphaliste et réductrice d’Eusèbe de Césarée, en 330, l’Église d’Empire serait née de la bouche de Jésus avant sa mort. Une image fausse qu’on a souhaité corriger en lisant le Nouveau Testament et, de près, tous ces documents des tout premiers siècles : le 1er et le 2ème.

En vérité qu’a laissé Jésus à ses disciples ?

Il n’a laissé aucun écrit et c’est bien connu, sauf sur le sable !

Il n’a laissé aucun credo, aucun manuel de morale, sauf la loi juive réduite à son essentiel : l’amour du Dieu unique et l’amour du prochain comme soi-même. Il n’avait mis sur pied aucune institution, aucun clergé et aucun rite nouveau. À ses disciples, il a laissé un repas, à prendre en mémoire de Lui et la prière juive du ‟Notre Père”.

Autre question : Comment s’est constitué, dans ces petits groupes que ses disciples avaient  rassemblés par la prédication, un mode de vie et de croire suffisamment puissant pour se trouver, à la fin du IVèmesiècle, en position d’être reconnu comme la religion officielle de l’Empire romain et, deux mille ans plus tard, d’être confessé par près de deux milliards d’humains ?

Les disciples de Jésus ressuscité, regroupés entre eux pour faire mémoire de Lui, prier et partager  leur quotidien et qui ont pris le nom d’Église, ont fait de ces assemblées des lieux de ‟ fabriques”. ‟Fabriques”  de récits qui, en quelques décennies, ont fini par donner les évangiles. ‟Fabriques”  de modes de vie, ‟fabriques” de rites. Petit à petit une reconnaissance s’est produit.

C’est Paul de Tarse qui a donné à ces chrétiens l’incroyable dignité du nom d’ecclesia, soit Église, mais, traditionnellement, l’assemblée des hommes libres dans les cités, ni les femmes, ni les esclaves, mais ceux qui votent les lois. Or Paul a appelé Église ces assemblées où ils convoquaient, rassemblaient femmes et hommes, esclaves et hommes libres, sans aucune discrimination religieuse, sociale, sexuelle. Tout cela était aboli.

Pour autant, ne tombons pas dans l’absurdité qui court les rues, et qui consiste à dire : c’est Paul le fondateur du christianisme. Pas du tout, Paul ne reconnaît qu’un seul fondement, Jésus Christ crucifié et sur ce fondement, lui et avec d’autres, jamais tout seul, et d’autres avant lui, annoncent, rassemblent, s’appuient sur des réseaux, des réseaux juifs existants, liés à des synagogues, des réseaux d’artisans, de commerçants, éventuellement de fonctionnaires romains.

Il partage avec nombre de co-apôtres, comme il les appelle : des femmes ou des hommes, des compagnes et des compagnons cette foi intrépide qui les fait avancer toujours plus loin, là, dit-il, où le nom de Jésus n’a pas été prononcé. Dès la fin des années 40, à Rome, alors que Paul n’ira que 10 ans plus tard, il y avait déjà de nombreux chrétiens.

 Nous avons voulu intituler ce livre de façon provocatrice : «  L’Invention du christianisme » 

Nous avons discuté et obstinément tenu à ce titre provocateur, car il s’agissait d’inventer, au sens fort du terme, au sens  latin,‟ inve-nire », c’est-à-dire, découvrir ce qui est là et qu’on ne voyait pas, signifiant « venir dans”. C’était revenir, sans cesse, à cette expérience bouleversante qu’est la rencontre du Christ pour en déployer tous les possibles, pour y trouver une semence puissante de nouveauté.

Jésus Fils de Dieu, auquel les disciples sont indéfectiblement attachés et fidèles, les pousse toujours en avant et c’est cela qui est vraiment essentiel, il les projette toujours en avant d’eux-mêmes. In-visée, la finale de l’évangile de Marc qui est frappante : le jeune homme en blanc qui s’adresse aux femmes en leur disant : ‟ Allez-dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée, là vous le verrez, allez l’annoncer, à l’annoncer, vous le trouverez. Alors vous le verrez ” Jésus, lui-même, s’est peu  exprimé sur sa propre identité. Il a toujours remis à l’autre le soin d’en dire un peu plus :

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

C’est cette question que les disciples ont pris en charge pour la porter jusqu’aux extrémités de l’Empire et du monde. Mais alors, la porter comment ? Non pas de façon spéculative, mais d’abord, par un nouveau mode de vie et de faire, et un faire avant un dire. Mais un faire qui va nourrir un dire et, en même temps,  s’en nourrir.

Je m’explique : un faire, d’abord emprunté, tout simplement à la culture religieuse environnante juive et païenne. Se rassembler, manger ensemble, c’était déjà le fait des juifs et aussi bien de plein d’autres petits groupes religieux qui fleurissaient dans l’Empire romain, souvent au nom d’une divinité égyptienne qui arrivait sur le « marché”, on se réunissait au sanctuaire, on mangeait ensemble. Les chrétiens qui n’avaient pas de sanctuaires mangeaient dans les maisons, dans les boutiques, dans les ateliers, dans les ateliers de tissage de Paul, de  Priscille et d’Aquilas. Les Actes des apôtres les montrent selon un mode de vie stylisé mais  résumé finalement en quatre expressions :

  • Attentifs à l’enseignement ;
  • Attentifs à la vie en communion ;
  • Attentifs au partage du pain, à la fraction du pain ;
  • Attentifs aux prières.

 On note : l’absence de culte, la fraction du pain n’est pas dite comme un culte mais comme un partage de repas, la prière au temple a disparu avec le temple. Ce qui est important, c’est cette vie en fraternité, cette volonté de vivre ensemble à un point tel que les Actes ajoutent : « Ils vendaient leurs biens, mettaient en commun, et partageaient ce dont chacun avait besoin » Et là, ça coince ! Et il y a un risque que Luc, auteur des Actes, ressent aussitôt : au chapître V, il y a cet épisode dramatique, imaginaire et programmatique,  d’Ananias et de son épouse Saphira : dès que la mise en commun est imposée d’en haut ou ressentie comme telle, dès que la communion passe au communisme, cela engendre le mensonge et la mort, soit la catastrophe. Si l’Église veut être idéale et instaurer le royaume à la force du poignet cela va forcément à l’échec et à la catastrophe. Voilà, à bon entendeur, on garde la leçon !

Cependant on ne peut pas vivre ensemble et croître sans s’organiser selon l’adage, qui peut faire de la peine, mais qui est vrai « Rien ne dure qui ne s’institue » ! Et il fallait donc s’instituer, même si Jésus ne l’avait pas fait.

Progressivement, on voit apparaître des responsables. Ce qui est caractéristique dans le Nouveau Testament, c’est la diversité et la liberté.

On s’organise d’abord comme les groupes juifs (le judaïsme représente 10 %, environ, de la population dans l’Empire romain). Des collèges d’anciens, Paul  parle de ceux qui prennent de la peine pour vous et qui sont à votre tête, qui vous dirigent. Il va s’adresser, à Philippes, à des diacres qui sont serviteurs de la parole et de la table, à des épiscopes, des surveillants dont il ne dit rien. Il s’adresse à des maîtresses de maisons : Chloé à Corinthe, Phoebée à Cenchrées, non loin de Corinthe, dont on dit qu’elle est diacre et patronne, c’est-à-dire à la tête de la communauté.

Autrement dit, il y a une grande diversité, une grande liberté. A Corinthe, où c’est la foire d’empoigne, où tout le monde se bagarre, Paul intervient simplement pour empêcher que les groupes n’éclatent de façon schismatique, pour remettre de l’ordre et du calme dans les assemblées. Après, débrouillez-vous !  C’est à dire : il faut inventer !

A la fin du 1ersiècle, on va retrouver dans des lettres pastorales un début d’organisation, ce qui est rare dans le Nouveau Testament, on voit surgir l’épiscope, cela donnera l’évêque, le surveillant, choisi par un collège d’anciens, et apparaissent des diacres, toujours le même mot : serviteur, des femmes et des hommes. Il leur est demandé une exigence de vie incroyablement ferme et rigoureuse, mais c’est aussi ce qui est demandé à l’époque aux sages stoïciens. On remarque la nécessité d’un bon témoignage, d’avoir bonne réputation et surtout, l’absence totale de recommandation institutionnelle ou rituelle, pas de rite, pas de baptême, pas de repas. Ce qui ressort, et l’accent est mis là-dessus, c’est une expression de la foi qui se diversifie.

De magnifiques hymnes au Christ apparaissent, des confessions de foi nouvelles qui sont des morceaux de liturgie, mais qui ne sont pas fixées et varient d’une lettre à l’autre. Alors, j’ai dit des cultes oniriques.  Et le repas du Seigneur ? Oui, Il est là, et probablement dès le début, à l’évidence, et c’est pourquoi il en est aussi peu parlé. Cela fait partie de la vie quotidienne, une fois par semaine, seuls après les repas d’installation ; les récits de la cène ; le dernier repas de Jésus, dans les synoptiques, et le pendant, dans l’évangile de Jean qui est le lavement des pieds, soit une autre façon de le prendre ce repas. En fait, seuls, les Actes des Apôtres évoquent, deux ou trois fois, la fraction du pain, « il rompit le pain et continua à parler », selon Paul. En fait, c’est Paul qui nous dit un peu ce qu’il en est, et pour la bonne raison que dans les années 50, les Corinthiens, avaient complètement défiguré le repas du Seigneur. Donc Paul intervient vigoureusement et, en conséquence, on s’aperçoit qu’il s’agissait de groupes de 30 ou 40 personnes, rassemblées là dans la maison d’un chrétien plus riche, en fin d’après-midi probablement, pour manger ensemble. Cela continue, avec des traces tout au long du  1ersiècle (précédemment nous évoquions les années 54-55).

Au cours du 2èmesiècle, des maisonnées chrétiennes qui sont tenues surtout par des maîtresses de maison. En effet, la femme, qui à l’extérieur, n’avait pas de grande visibilité, à l’intérieur, était très libre. Aussi les femmes se convertissaient plus vite alors que leurs maris, tenus par leurs liens avec l’administration de l’Empire, étaient plus réticents. Alors, on peut nommer : Priscille (dans le couple Priscille et Aquilas), Lydie, Domitille au deuxième siècle, Perpétue, à la fin du 2èmesiècle-début du 3èmesiècle. Ces femmes recevaient.

Que se passait-t-il ? Les rares renseignements que nous donne la Didachè, ce manuel de rites chrétiens, à la fin du  1 er siècle  début du second, ou encore Justin, 155-160, évoquent une réunion, chez Paul, c’était plus en fin d’après-midi, là c’était très tôt, le dimanche matin. On a aussi parlé du dimanche soir, on évoque une présidente, des lectures de psaumes et ces mémoires des apôtres qu’on appelle évangiles. Justin, le premier décrit, en 155 le partage du pain qu’on trempe dans du vin coupé d’eau, et puis  surtout, que ce sont les diacres, qui vont porter ce pain, distribuer, ce qui reste aux pauvres et aux malades. On connait les paroles du Seigneur sur la coupe et sur le pain, Justin les cite avant, mais elles ne semblent pas intégrées et proclamées pendant le rassemblement.

On sait d’ailleurs, et c’est reconnu aujourd’hui par le magistère de l’Église catholique, qu’il y a une prière eucharistique, l’anaphore des apôtres à Addaï et Mari, à l’est, en langue syriaque à la fin du  au deuxième siècle (2), Perpétue, à la fin du 2èmesiècle siècle qui n’a pas les paroles que nous appelons de la consécration. Je passe, puisque je suis à la fin du IVèmesiècle.

Je reviens à la fin du 2èmesiècle-début du 3èmesiècle, avec un témoignage étonnant, celui de Tertullien, un père de l’Église à Carthage, qui a une grande influence sur la suite de la pensée chrétienne. Dans son traité sur le voile des vierges, il a beaucoup écrit, probablement trop, et dans ce traité, il se plaint, et cela fait écho à des plaintes chez les païens, de la trop grande influence des femmes dans les communautés chrétiennes ! Et finalement, il leur interdit de prêcher, de baptiser et ‟d’eucharistier”, c’est-à-dire de présider l’eucharistie, preuve qu’elles le faisaient largement. À cette époque là, dans les principales villes de l’Empire et par régions, on a des évêques, qui ont une certaine influence régionale. Ces évêques prennent souvent le nom de papes-‟papa”. Il y a plein de papes dans l’Empire, au début du 3ème siècle,  ils communiquent entre eux, par des lettres pastorales, que des spécialistes, avec qui nous travaillons,  commencent à découvrir. Ils réunissent des synodes régionaux, c’est leur façon de communiquer avec les autres évêques de la même région et de régler les questions. Il y a des différends parfois très sévères entre eux. On connait celui, à la fin du 2 èmesiècle, entre Polycarpe de Smyrne et Victor de Rome, à propos de la date de la  fête de Pâques, cela se négocie et on finit par s’entendre, chacun repart de son côté avec une date différente, ce n’est pas grave !

Pourquoi nous sommes-nous arrêté à 250, juste avant la première grande persécution de Dèce en 251, lesquelles persécutions sont sporadiques, ne visant pas uniquement des chrétiens et avant le premier grand traité « De l’unité de l’Eglise » de Cyprien, qui a une vision de l’Eglise, une ecclésiologie de communion, représentée par celle des évêques entre eux (Cyprien étant à Carthage) ? Parce que nous voulions rester dans ces deux premiers siècles car le christianisme-je résume- n’avait encore rien de figé, rien d’institutionnalisé, il était multiforme, multipolaire et en pleine recherche. Si les évangiles étaient fixés, le Canon du Nouveau Testament ne l’est pas ; il le sera aux environs de la fin du IV èmesiècle. Il y a une diversité de modes de célébrations, d’élaborations théologiques qui se font, certaines sont marginalisées et finiront par être qualifiées, plus tard, d’hérétiques. On se différencie, beaucoup plus lentement que nous ne le croyons, du judaïsme. L’intégration à la société romaine se fait sans opposition au pouvoir mais aussi sans compromission avec une quelconque  autorité. Au fond, un christianisme où tout était possible, où tout restait à inventer, où rien n’était encore décidé.

 Cet exposé est le résultat de deux ans d’un travail qui n’avait pas pour objectif d’avoir des réponses à nos questions d’aujourd’hui, des modèles d’un passé à retrouver ou à relever, ce serait faire un contresens total et aller à l’inverse de mes propos et de ce que nous avons appris.

Le christianisme reste à inventer, à chaque époque, puisqu’il est fidélité à un vivant qui toujours accompagne l’histoire et même la précède, la tire en avant, en tout cas, ce que nous croyons. Il doit donc faire oeuvre créatrice, entrer en dialogue avec la nouveauté incessante, et de plus en plus rapide,  du monde dans lequel il vit, à la manière de ces dynamismes des premiers siècles. Tracer des voies nouvelles, toujours à laisser  et toujours à reprendre, sans savoir d’avance ce qui correspondra le mieux au souci  et au projet de l’époque avec laquelle on avance, et dans laquelle on se pose la seule question qui vaille :

« Et vous qui dites –vous que je suis ? ».

Une question pour aujourd’hui et pour demain, une question pour laquelle nous devons toujours chercher la meilleure façon de la  mettre en travail, au milieu de nos contemporains, pour eux, et si possible avec eux, en prenant des risques et sans autre garantie, selon l’Apocalypse, « que la foi en l’Esprit, qui parle aux Églises ».

 Je vous remercie.

       Roselyne Dupont-Roc

 P.S : après une présentation visuelle du livre « Après Jésus. L’invention du christianisme »- Paule Zellitch annonce la mise en place d’une lecture suivie, accompagnée par Roselyne Dupont-Roc, organisée par la Conférence Catholique des Baptisé-e-s Francophones, autour de septembre 2021.

(1) « Après Jésus. L’invention du christianisme »- Publié le Mercredi 21 octobre 2020 :

Après Jésus. L’invention du christianisme, sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim, Paris, Albin Michel, 2020 .

« Après la parution de Jésus. L’Encyclopédie, un second livre s’est imposé à ceux qui y avaient travaillé. Tout que nous avons pu dire de Jésus vient de ce qu’ils ont vécu de leur foi en lui, de ce qu’ils ont proclamé et transmis, qu’ils ont mis par écrit et  qu’ils ont porté, jusqu’à nous, à travers les siècles. De fait les quatre évangiles sont dits « selon », se désignant par là comme une œuvre de transmission et de transmission vivante ; le Nouveau Testament témoigne d’une intense créativité. Il fallait rendre justice à ces témoins des tout premiers siècles après Jésus Christ. Les livres d’histoire, qui présentent la naissance et le développement du christianisme au programme des classes de seconde, commencent à Constantin. Le point de vue est celui d’Eusèbe de Césarée : l’histoire doit se lire à partir de la fin, et l’Eglise dont Eusèbe rêve pour l’Empire, organisée et monolithique, est d’emblée projetée sur l’Eglise des commencements.

Nous avons voulu, à rebours, plonger dans la diversité et l’effervescence des premiers groupes chrétiens, des décennies largement ignorées du grand public. Pour cela, un travail d’équipe s’est imposé, non pas sous la forme d’une juxtaposition de points de vue, mais sous la forme d’un dialogue entre spécialistes de différentes disciplines : nous avons rassemblé des historiens, des exégètes, des patrologues, des dogmaticiens, des spécialistes de la liturgie, des connaisseurs du judaïsme ancien. Venus d’horizons divers avec des méthodes propres, ils ont confronté leurs approches et leurs perspectives dans un étonnant respect du point de vue de l’autre, sans jamais gommer les divergences d’interprétation que le livre manifeste. A ce titre, plusieurs membres du Comité de rédaction des Cahiers Evangile ont participé à l’entreprise.

Nous avons osé le sous-titre « L’invention du christianisme ».

Provocateur, bien sûr, mais surtout volontairement problématique et prenant de front la difficulté. Il n’est pas question d’imaginer une nouvelle religion sortie toute armée du cerveau de Paul ou d’un autre apôtre, ce qui est simplement absurde. Paul, lui-même, ne cesse d’affirmer qu’il n’y a qu’ « un seul fondement Jésus Christ », sur lequel chacun est invité à construire, autant qu’il le peut. Nous employons le mot « invention » en son sens fort, son sens latin : invenire, c’est venir, ou revenir dans, découvrir ce qui était là et que l’on n’avait pas compris ni déployé. Jésus n’a rien écrit, rien institué, il n’a établi ni religion, ni dogme, ni organisation ecclésiale, ni manuel de morale ; il a lu les Écritures de son peuple, et n’a laissé en mémoire de lui que les gestes simples d’un repas et la prière juive du Notre Père. Il a tout confié, tout remis à ses disciples (la scène johannique du disciple bien-aimé et de la mère de Jésus au pied de la croix le dit assez) ; plus encore il leur a laissé le soin d’expliciter plus avant son identité en les confrontant lui-même à la question: « Et vous qui dites-vous que je suis ?
Ils ont dû alors relire les Écritures, revenir sur leur vie avec lui et découvrir les potentialités inouïes de ce qu’ils avaient vécu, déployer le ferment de nouveauté compris dans cette rencontre sans précédent qui les invitait à une fidélité créatrice… »

Roselyne Dupont-Roc

(2-ajout explicatif-)

En liturgie, une anaphore désigne la prière eucharistique, précédée des rites de préparation, L’anaphore des apôtres Addaï et Mari date du III° siècle, ne comporte pas le récit de l’institution avec les paroles du Christ, cela ne doit pas nous étonner outre mesure, la Didachè (compilation qui date sans doute de la fin du 1° siècle), aux chapitres 9 et 10, comporte aussi des formules eucharistiques sans le récit de la cène. distribution du pain et du vin eucharistiques. et elle est toujours en usage dans certaines Eglises orientales, notamment l’Eglise assyrienne d’Orient, qui n’est pas en pleine communion avec l’Eglise catholique.

La plupart d’entre nous sommes habitués à lier l’Eucharistie aux paroles du Christ « ceci est mon corps… ceci est mon sang », comme cela est dit dans la tradition apostolique qui date environ de l’an 215 à Rome, puis dans les prières eucharistiques romaines ou byzantines. Dans la Didachè ou dans l’anaphore d’ Addaï et Mari, la présence réelle du Christ est liée à l’invocation de l’Esprit Saint et au mémorial : l’Esprit Saint nous rend présents à l’action que Dieu a faite un jour dans l’histoire, car Dieu est au-delà de l’espace-temps.

Questions transmises en fin de première partie, par Paule Zellitch,

à  Roselyne Dupont-Roc et Arnaud Join-Lambert (3)

En matière de célébration, sans consécration, comment tenir ensemble : ancrage en Christ, autonomie fructueuse, universalité de l’Église et dimension hospitalière ?

 Roselyne Dupont-Roc : L’ancrage en Christ, en l’absence de consécration, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux, la consécration est d’abord là.  Après, il faut encore tenir : l’ouverture universelle, l’autonomie fructueuse, l’universalité de l’Église et la dimension hospitalière.

Arnaud Join-Lambert : Le préalable incontournable, que dit Roselyne, c’est cette promesse du Christ en Matthieu 18 :20, qui base toutes les célébrations chrétiennes depuis 2000 ans. C’est cette promesse qu’il faut lier avec la finale de l’évangile de Matthieu « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde ». Dans le rassemblement et dans d’autres éléments, en lien avec la grande nouveauté de Vatican I I,  par rapport à 5 siècles d’enseignement et de théologie dans l’Église catholique : la présence existe quand nous proclamons ensemble, dans une assemblée, la parole de Dieu, c’est alors le Christ qui parle. L’ancrage en Christ est constitué, non pas dans une sacralisation des écrits, mais dans le fait de se rassembler et dans cette écoute de la parole. Quand on proclame ensemble, c’est le Christ qui parle. L’ancrage en Christ n’est pas dans la lettre d’une bible mais  dans le rassemblement et dans cette écoute de l’évangile, plus les sacrements et la personne du ministre…

L’autonomie fructueuse vient de Dieu lui-même qui fait fructifier ce que nous vivons. Et l’autonomie est liée à l’universalité dans le sens où elle n’est pas coupée des autres. Elle s’inscrit dans une communion qui se traduit, d’un point de vue liturgique, par la prière universelle ou temps d’intercession, soit l’élargissement aux dimensions du monde. Les personnes et les groupes que chacun porte constituent cette universalité ainsi que l’attention aux autres rassemblements qui se déroulent ailleurs. C’est ce qu’on appelle la communion des saints.

 

Roselyne Dupont-Roc ajoute le fait que chacun porte, avec lui, tout son peuple derrière lui ; familial, amical, lointain ou proche, croyant ou non. Chacun est présent avec tous les liens dont il vit, d’où cette dimension universelle forte.

 Arnaud Join-Lambert : une chance, insuffisamment saisie dans nos pratiques de célébration en paroisse, c’est en situation de confinement la question de la proximité, que je développe dans l’article de la revue Études (octobre 2020 : « Les leçons du confinement ») du fait de ne pas pouvoir se déplacer. Il est possible d’avoir des relations avec ses voisins, qui peuvent être des baptisés qui ne viennent  pas à l’assemblée paroissiale. Je crois que tous les échanges de la rencontre qui sont pleins des partages, autour éventuellement de l’écriture, des préoccupations, des prières, montrent un déploiement possible de l’hospitalité en proximité… C’est aussi tout ce qui se réalise, aujourd’hui en France, de manière assez sérieuse,  dans des diocèses, qui promeuvent des fraternités de proximité, ligne très forte actuellement en France.  Cette hospitalité peut s’offrir dans cette proximité de vie auprès de baptisés qui ne viennent plus dans les églises. Les paroisses ne sont plus hospitalières puisque les baptisés n’y viennent plus majoritairement. Par contre, dans la proximité, se nouent des liens de foi et de Dieu. L’hospitalité peut très bien rimer avec la proximité, y compris pour des célébrations qui, dans ces cas sont nécessairement créatives et adaptées, tout se tient.

Paule Zellitch : C’est ce sillon, que beaucoup de personnes de la CCBF ou proches, travaillent à développer, lié à leur souci des églises qui se vident.

Roselyne Dupont-Roc : ne pas oublier que l’entraide est une forme de célébration, il y a les trois récits des derniers repas, dont le lavement des pieds. Un certain nombre de paroisses l’ont manifesté en faisant de la distribution de repas sur le trottoir, entre 12h et 14h, pendant tous les confinements. Là, il y a une vraie forme de célébration, en plus, visible du dehors. On ne l’a pas assez vécu sous la forme de témoignage et même de célébration.

 

Arnaud Join-Lambert : Il y a certes ici une dynamique d’aller vers, mais qui n’est pas encore de faire ensemble communauté, dimension importante de la vie chrétienne. Des fraternités de proximité qui essaiment (Amiens, Beauvais, Besançon, Tulle, Rodez…) autour de la parole, sont comme autant de récits qui suscitent quelque-chose, en lien avec le mystère de la foi chrétienne. La foi naît de l’annonce et de la lecture de la parole.

Cela constitue un enjeu intéressant, pour la suite, qui s’est puissamment révélé pendant le premier confinement.

 

Paule Zellitch  fait appel à tous les laïcs formés en nombre dans les universités catholiques, pourvus notamment de diplômes de théologie, ayant peu l’occasion de s’en servir…Ils sont les bienvenus à la CCBF !

Question de Paule Zellitch à Arnaud Join-Lambert : 

Le concept d’Église liquide peut-t-il servir à un renouveau paisible des pratiques ?

Si on pense l’Église de par sa taille (d’un département, d’un diocèse) comme étant multi-polaire, décentrée, la paroisse continuant d’avoir un sens, mais où on encourage d’autres lieux qui ne sont pas le tout de la vie chrétienne, on peut célébrer dans les maisons d’églises, dans des tiers lieux écclésiaux. Mais ce n’est pas facile car ce sont des lieux où on ne peut pas célébrer les ‟sacrements”, on ne peut pas célébrer l’eucharistie de la même manière qu’en paroisse. Donc cela nécessite d’oser célébrer ensemble autrement. Je pense aux Maisons des Familles, fréquentées par beaucoup de personnes loin de l’institution et aussi par des non baptisés, il faut célébrer la vie dans ces maisons très répandues en France (pas seulement faire du conseil conjugal) et beaucoup en projet. On y célèbre la vie avec des symboles accessibles : la lumière, l’eau, les gestes comme le lavement des pieds, les repas, etc. Mais il y a aussi l’écriture et des textes qui peuvent parler à tous, récits évangéliques ou autres. Célébrer en Église liquide, c’est-à-dire célébrer partout où des chrétiens s’efforcent de vivre à plusieurs leur foi, en témoigner, cela demande une réelle créativité…

Paule Zellitch : Comment prévenir dans ces groupes, le grand risque d’entre-soi, de repli et maintenir toujours la porte ouverte, pour laisser la place à celui venu de l’extérieur, comment rester vivant et actif ?

 Arnaud Join-Lambert : C’était aussi le défi des premières communautés chrétiennes évoqué par Roselyne : l’ouverture ne va pas de soi. Tous les Actes des apôtres, c’est ce problème : comment faire droit au tout venant ?

Roselyne Dupont-Roc : L’ouverture était et reste liée à l’annonce, c’est cela au fond qui demeure difficile. C’est la dimension annonce ou nouveauté de la proposition, plus que le ronron intérieur, le ronron clos.

 Paule Zellitch :  Vous  êtes en train de dire, en deux mots, qu’il y aurait à avoir une sorte d’attention aux charismes d’ouverture, pour toujours maintenir ouverte la porte à des personnes nouvelles, soit pouvoir « croître et multiplier ”, avancer sans cesse en nombre et progressivement essaimer des groupes, chacun ensuite de son côté, soit sans cesse avancer (Allez et multipliez…)

 Arnaud Join-Lambert : c’est la dynamique caractéristique des grandes confessions chrétiennes : les Églises multitudinistes, visant à s’occuper spirituellement de l’ensemble d’une population sans que celle-ci en soit forcément membre, par rapport aux Églises de professants ayant une logique assez inverse car plus centrée sur ses ouailles. Jamais satisfaits de l’autre différent et l’ouverture va contre nos élans premiers. On est d’abord, bien entre soi, en général. Et l’autre est toujours dérangeant, c’est humain. Et je pense que c’est le chemin de l’ouverture de l’humanité qui est engagé, depuis des siècles, et que le christianisme porte très fortement. Le pape François a un terme d’une banalité affligeante pour l’exprimer, c’est celui de « conversion” qui met dans une dynamique contraire au confort de repli.

Roselyne Dupont-Roc : c’est aussi la force du modèle précédent qui perdure actuellement :

l’Église ouverte, on y rentre sans qu’on vous demande pourquoi vous venez et d’où et qui êtes-vous ? Je trouve cela très fort comme modèle à garder et à transmettre. Qui que je sois, la porte est ouverte !

Arnaud Join-Lambert : très théoriquement on s’est posé la question : on a parlé du SAS, du parvis, de l’entre-deux, du narthex.  L’Église catholique, dans nos pays, n’est pas habituée à avoir ces espaces d’entre-deux, c’est-à-dire, c’est un peu tout ou rien, soit dans le tout, qu’est le cœur de l’Église (chœur géographique aussi), et nous avons du mal à accompagner. Or la plupart de nos contemporains, en Belgique et en France, sont là !

Des millions de baptisés sont dans ce seuil ou ce parvis ou ce narthex !

Il faut inventer une présence à cet endroit- là et pourquoi pas, des célébrations ?

 (3) Arnaud Join-Lambert : Théologien franco-suisse- docteur en théologie de l’université de Fribourg. Professeur à l’Université catholique de Louvain en Belgique depuis 2005 où il enseigne la théologie pratique et la liturgie. Ses recherches actuelles portent sur la synodalité, particulièrement dans le cadre du synode diocésain ; les mutations des paroisses et du ministère des prêtres ; la liturgie des Heures ; les liens entre culture, spiritualité et théologie, particulièrement au cinéma.

Vice-président de l’Académie Internationale des Sciences Religieuses depuis 2019.

 

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