5 décembre 2020 Deuxième Conférence

Paule Zellitch remercie les intervenants et annonce la seconde partie :

Communautés d’Eglise par temps de confinement-

Avec les interventions de Isabelle Jonveaux, sociologue, et de Jean Pol Gallez

Extrait de la  2ème partie-Animation Paule ZELLITCH-présidente de la CCBF

Visionner la conférence

Communautés d’Eglise par temps de confinement : Jean Pol Gallez (1),Juriste et théologien, diplômé de l’université catholique de Louvain. Thèse : « la théologie comme science herméneutique de la tradition de foi ». Une lecture de » Dieu qui vient à l’homme » de Joseph Moingt » 2015-Ed. Peters. Nombreuses interventions sur la pensée de Joseph Moingt. Intérêts particuliers pour la théologie fondamentale et l’écclésiologie de ce jésuite français. Expériences dans la pastorale des jeunes en Belgique francophone. Coordinateur régional de l’ONG catholique belge de solidarité internationale : « Entraide et Fraternité ». (qui se consacre à l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire)

 Introduction de l’exposé

Annonce d’un propos en rapport avec mes formations et recherches, notamment en lien avec la pensée de Joseph Moingt et la théologie fondamentale avec une prise de hauteur et questionnements des cadres de pensée qui sont les nôtres.

Exposé en 3 temps

  1. Double mise en contexte et analogie
  2. Une analyse du cas de la messe
  3. Quelques leçons, d’ordre fondamental, à retirer de ces confinements que nous vivons en 2020
  4. Mise en contexte-Double analogie.

 Une 1ére analogie qui vise à rapprocher le cas de la  crise du Covid et de la crise socio-économique et environnementale, d’un côté, et le cas de la crise de l’Église, d’autre part.

 La crise du Covid est révélatrice d’un système socio-économique à bout de souffle et qui a exacerbé la nécessité de changer de paradigme socio-économique dans notre société. De nombreux scientifiques et lanceurs d’alerte et des acteurs de réseaux dits de la transition environnementale, agissaient concrètement et se situaient déjà dans le « monde d’après ».

Il semble qu’il en va de même pour l’Église, même si la prise de conscience est moindre, sauf pour certains théologiens et acteurs de terrain (depuis les années 60) qui annoncent que le système catholique est aussi à bout de souffle et qu’il y a nécessité de le refonder dans l’Évangile.    Des deux côtés, dans ces deux crises, des lanceurs d’alerte savent que les décisions prises trop tard sont exponentionnellement plus coûteuses que celles que l’on prend à temps.

Bref, la mise en pratiques des recommandations des scientifiques, dans le cas de la planète d’une part, et les appels de chrétiens d’autre part, dans le cas de l’Église, auraient pu épargner, me semble-t-il, en grande partie, les crises actuelles que nous vivons, qu’elles soient financières, sociales, environnementales d’un côté et, d’autre part, les graves crises systémiques vécues dans l’Église catholique quant à l’exercice de l’autorité…

Des deux côtés s’annonce la fin d’une histoire. Pour la crise socio-économique et environnementale, la fin d’un capitalisme financier intrinsèquement vorace et destructeur de la planète et de la vie, dont nous avons tous conscience. Et, à moindre degré de conscience, pour l’Église, la fin de l’ère d’un christianisme de religion particulièrement  rebelle à toute refondation dans l’Évangile.

Les confinements fonctionneront-ils comme des kairos ou des moments favorables pour le passage au « monde d’après » ? Je pense que tout dépendra de la qualité de nos réponses et des capacités de résilience face aux effondrements, tout proches, qui s’annoncent des deux côtés !

Une 2ème analogie :

Approche fondamentale et pratique de questionnement des cadres

Le fonctionnement sociétal comme celui de  l’Église ont tous les deux besoin de réponses hors cadre, qui ne peuvent provenir que de  questions qui  doivent être elles-mêmes renouvelées. Il convient d’apprendre à questionner les questions habituellement posées.

Côté crise ecclésiale, le renouvellement ne peut provenir que d’un questionnement de fond opéré à la lumière d’une autre conception du christianisme, ce qui souvent manque dans les réflexions.

Exemple : les questions habituellement débattues : faut-il améliorer la formation psycho-affective des prêtres, envisager la fin du célibat ecclésiastique, ou accorder l’ordination aux femmes ? devront, à mon sens, être questionnées par une autre question :

le christianisme  a- t-il besoin d’un clergé pour exercer sa mission ?

Et même plus : l’existence de ce clergé est-elle compatible avec l’essence du christianisme ?

La pertinence des questions habituellement posées devra  être mise en doute, dans la mesure où elles se meuvent dans un cadre, c’est-à-dire, un dispositif de religion qui n’a jamais vraiment été interrogé : le christianisme est-il une religion ?

En tout cela je pense que c’est notre pensée qui doit d’abord se déconfiner !

 2 – Une analyse du cas de la messe

La messe, malheureusement et le théologien doit en prendre compte, a occupé le débat écclésial et médiatique pendant ce confinement). Je vais donc m’interroger dans cette perspective fondamentale annoncée  en distinguant : La messe et l’eucharistie (comme je le fais depuis assez longtemps)

2.1. La messe dans Lumen gentium-N°11 est présentée comme la source et le sommet de toute la vie chrétienne, en tous cas ‟le sacrifice eucharistique” pour reprendre le terme exact du texte.

Question : sommes-nous encore bien chrétiens sans la célébration de cette messe ?

Deux options ont émergé dans les débats pendant le confinement

Une première option « religieuse ou sacralisante »  qui exprime que la messe constitue bien le chrétien et pour qu’elle soit valide, il faut qu’un expert consacré à cet effet soit présent et qu’une assemblée de  fidèles se rassemble pour recevoir le sacrement.

Dans le cas de la messe par internet j’ai observé que certains défenseurs de cette option religieuse et sacralisante n’ont eu aucun mal à évacuer la dimension communautaire de la célébration et se sont satisfaits des seuls gestes rituels pratiqués par un prêtre, en solitaire derrière son écran, ce qui me pose terriblement question. Pour éviter cette incohérence d’autres chrétiens défenseurs de cette même approche, ont adopté d’autres attitudes qui sont assez opposées : soit se priver de la messe par respect pour ses conditions de  validité, soit revendiquer un droit à la messe et demander, dans la foulée, qu’elle fasse exception au confinement, questionnement posé en France et plus timidement en Belgique où le débat a aussi surgi.

Une deuxième option, que j’appelle  « l’option fraternelle » a émergé. Pour ces chrétiens, la charité prévaut sur le rite et la messe ne vaut que si elle célèbre l’amour  du prochain et une histoire d’évangile. Cela est très vrai, mais pour eux, le rite eucharistique pourrait également attendre, voire ne jamais avoir lieu.

Et des évêques dans cette même idée  ont avancé que la messe n’était pas le seul moyen de rencontrer le Christ et que le confinement ouvrait la possibilité  de redécouvrir des rituels domestiques.

Question fondamentale : la messe et-elle encore source et  sommet de toute la vie chrétienne dans ce cas ou est-elle relativisée ?

Questionnement du cadre  proposé : faut-il choisir entre la messe ou le frère ? Cette alternative me semble un peu fausse.

Déconfiner notre pensée devrait permettre d’ouvrir à une autre question :

Comment garantir, en toute circonstance, un lien entre le frère et le rite eucharistique que je distingue bien de la messe, pour que celui-ci reste bien source et sommet de toute la vie chrétienne. Si, comme je le pense, l’eucharistie et l’amour du prochain sont bien un même devoir indissoluble pour le chrétien, c’est que l’eucharistie n’est précisément pas un droit, en l’espèce un droit qui a été  contrecarré par l’impossibilité sanitaire de se réunir et compensé de façon un peu illusoire par une messe rituelle. Et que, d’un autre côté, l’amour du frère est toujours praticable, même à distance, et qui doit précisément pouvoir toujours se prolonger, pour chaque chrétien, à travers le geste de la fraction du pain commandé par Jésus.

 Du questionnement du cadre, je passe à la réflexion fondamentale.

 Car l’enjeu, pour l’institution, n’est pas de se perpétuer à travers ses prêtres par écran interposé ou, pour cette frange très minoritaire de chrétiens, de réclamer une dose hebdomadaire ou quotidienne de religion au mépris des lois de la santé de tous.

Mais est-il par contre acceptable que le chrétien soit privé du rite eucharistique sous prétexte de confinement ? Le kairos, dont je vous parlais, ne renvoie-t-il pas simplement à notre responsabilité de nous interroger sur le sens profond de l’eucharistie, sous forme d’une nouvelle alternative que je vous propose.

L’eucharistie, est-elle la présence réelle chosifiée obtenue par la manipulation des rites, par l’expert consacré, ou est-elle la mémoire célébrée de notre réelle présence à nos frères  à l’imitation de Jésus Christ ?

Et donc, de la fausse alternative, dont j’étais parti au début, il me semble que déconfiner notre pensée nous permettra de sortir de cette fausse alternative par un double sursaut.

Pour les tenants de la première option, sacrée et religieuse, il s’agira de découvrir le caractère intrinsèquement profane et domestique du christianisme.

Et pour ceux de la deuxième option, il s’agira d’oser exercer son devoir de faire mémoire de Jésus. Il me semble que  par la foi qu’elle suscite, l’expérience chrétienne fait passer de l’attachement au sacré des religions à la considération de la puissance symbolique d’un geste simplement humain et, pour ce motif, toujours disponible.

Enfin, je termine ce second point en posant une autre question fondamentale (présente avant et depuis le confinement) : pourquoi, de manière générale, ne va-t-on plus à la messe ?

Jean-Louis Schlégel confirmera le propos fondamental que je viens de tenir : pour lui, en effet, à l’inverse des explications extérieures habituelles : on ne va plus à la messe pour raison de sécularité, parce que la société est devenue individualiste, s’oriente vers les loisirs, parce qu’on manque d’éducation religieuse dans les familles… Le motif principal est précisément la re-sacralisation et la re-cléricalisation, constatées à rebours de l’esprit de Vatican II, depuis 2 ou 3 décennies.

Mais que cherche-t-on vraiment ?

Sauver le système capitaliste malgré la destruction, en cours, de la planète, de même à sauver le sacerdoce ministériel malgré l’évidence du cléricalisme, et la fin de la religion, à laquelle nous assistons dans notre société ?

Avec cette question, je passe au troisième point.

3 – Quelques leçons de confinement pour l’Eglise

3-1 Quelques leçons du confinement pour l’Église, avec ce dilemme : faut-il sacraliser ou faut-il humaniser ?

Je reviens sur une question qui revient souvent surtout dans le vocabulaire ecclésiastique : la lecture ou l’interprétation des signes des temps. Je pense qu’il est temps de passer d’une rhétorique à une effectivité. Nous sommes face à un grand questionnement ecclésiologique.

 Combien de temps l’Église va-t-elle tenir son grand écart entre une posture pastorale a dextra aux accents heureusement de plus en plus humanistes, avec le  discours intéressant sur les périphéries, et à l’inverse, à l’intérieur de l’Église, sur elle-même, un conservatisme fonctionnel sacralisant tant au plan dogmatique que pratique ?

Le changement de société aujourd’hui semble empêché par la persistance de ce que certains appellent les ultra-forces incarnées par les puissances des multinationales, par les géants du numérique, les géants de la finance, de l’agro-business…

De manière analogique à nouveau, je soutiendrai que la révolution nécessaire à  l’Église est entravée, à mon sens, par l’ultra-force de la sacralisation et de l’attachement à la religion.

Tout comme le monde politique ne se résout pas facilement à entendre les justes prévisions des scientifiques sur l’état de nos écosystèmes, davantage encore, l’autorité écclésiale sera restée, me semble-t-il, assez sourde, à ces théologiens lanceurs d’alerte et autres chrétiens de terrain, qui, depuis Vatican II déjà, voire avant, indiquaient les limites, bientôt atteintes, du système catholique.

Alors, il est Intéressant d’observer un certain discours ecclésiastique parler de ces fameux « signes des temps ». Beaucoup de citoyens confinés ont pris conscience de l’interconnexion des crises actuelles à la lumière de la pandémie.

Il me semble que le confinement du  chrétien doit-être son kairos pour lui permettre de discerner et d’analyser les causes systémiques du désamour entre la culture occidentale et l’Église, qui est, selon moi, le véritable point d’attention.

Et je rêve donc d’un Laudato Si appliqué à l’Église, qui ferait apparaître « un tout est lié » du problème ecclésiologique comme le même texte le met remarquablement en œuvre s’agissant des crises sociétales multiples que nous vivons.

3–2–En finir avec le cléricalisme

Je souhaite aussi, comme Loïc de Kérimel, en finir pleinement et enfin avec le cléricalisme. Loïc de Kérimel a mis en lumière que celui-ci n’est pas le résultat d’une déviance, dans l’exercice de l’autorité, mais bien le fait d’un système. ‟Tout est lié” : je soutiens que le cléricalisme est le symptôme le plus avancé d’un attachement à la religion et au sacré et qu’ensemble ces deux aspects expliquent pour une grande part l’ex-culturation du christianisme par la société, en cours depuis les années 60. Et l’homme contemporain a une double raison de ne pas se reconnaître en l’Église : ne pas y trouver un modèle adulte  de vie spirituelle parce qu’il sort de religion, et qu’il est acquis, depuis longtemps, par sa culture démocratique, au principe d’égalité. L’Église n’est pas une démocratie répliqueront les tenants de la première option et je suis d’accord avec eux mais dans un sens radicalement opposé aux leurs, car l’Évangile va bien plus loin que la démocratie lorsqu’il s’agit d’établir l’égale valeur de tout être humain et à fortiori l’égale valeur de tous les disciples de Jésus.

Enracinée dans une ecclésiologie tout simplement absente des évangiles et des deux premiers siècles de l’Église, la dichotomie du clerc et du laïc est à l’Église ce que la pandémie est à la société, une maltraitance d’un système vital, la nature et la communauté humaine d’un côté et la communauté de foi de l’autre côté.

Alors, je reviens à la question de la fraction du pain. Après avoir écrit l’entièreté de mon propos à ce sujet, je découvre l’interview du nouveau secrétaire du synode des évêques, Mario Grech, ce dernier estime que la principale leçon du confinement consiste dans la réhabilitation de l’Église domestique qu’il qualifie de prémisse valide de la nouvelle évangélisation. De manière inattendue, pour un ecclésiatique de son rang, il parle d’un nouveau ministère, celui du service, qu’il relie au geste de la fraction du pain à la maison. Il rappelle également l’évidence aveuglante de ce passage des Actes : « Ils rompaient le pain à la maison. Ils mangeaient leur nourriture avec un cœur heureux et généreux ». Et l’homme d’Église de conclure : « il est du devoir de la communauté paroissiale d’aider la famille à être une école de catéchèse  et un espace liturgique » (propos plus classique). Mais il ajoute : « un espace liturgique où le pain peut être rompu sur la table de la cuisine » !

Suis-je occupé à me focaliser abusivement sur la messe ?  Non, j’ai seulement observé que ce thème était le principal point de crispation, surgi des débats, pendant le confinement.

Si elle a tant occupé les esprits, que ce soit pour la sauver à distance, pour la revendiquer dans la cité, ou pour la mettre entre parenthèses, le véritable signe des temps qu’elle indique, me semble –t-il,  c’est que le système catholique s’est construit tout entier sur la messe et risque bien de disparaître avec les derniers chrétiens qui la fréquentent, les chiffres ont été rappelés à ce sujet. Réciproquement cela indique que l’Eglise doit renaître ailleurs.

Alors, l’Eglise se serait-elle trompée depuis des siècles en ordonnant des prêtres ? Je le pense assez profondément depuis une dizaine d’années. La source du cléricalisme ne se trouve pas dans la formation des prêtres, ni dans le refus d’ordonner des femmes ou des hommes mariés, ni dans des attitudes subjectives de domination ou de soumission des fidèles, mais dans la séparation des chrétiens en deux catégories. Et pourquoi cette distinction est-elle infidèle à l’Evangile ? Parce que Jésus n’a cessé de supprimer les frontières entre le pur et l’impur, entre le sacré et le profane, parce qu’il n’a institué personne pour se poser en intermédiaire entre l’humanité et son Père, in fine parce qu’ll est mort en raison de sa mise en cause permanente de la religion et que pour ces motifs le christianisme n’est pas une religion, mais un puissant appel à s’en sortir par la foi, c’est-à-dire, par la confiance mise en cette voie que Jésus a ouvert en sa personne.

Du seul fait de leur baptême, qui est une disposition nécessaire et suffisante, les chrétiens sont disponibles mais pour combien de temps encore ?  Pour réconcilier le monde avec l’Évangile, en lui disant qu’il n’est plus besoin de rejeter la religion chrétienne, puisque le christianisme n’en est pas une, mais à condition pour eux, et pour eux-mêmes, de ne plus sacrifier non plus à la religion chrétienne.

3–3– Comment peut-on envisager une église en transition ?

Une autre histoire du christianisme est à écrire. Église et monde peuvent encore se rencontrer. Mais puisqu’il se dit porteur d’une bonne nouvelle, c’est le chrétien qui devra donner le ton d’un travail critique à effectuer de part et d’autre. Le chrétien, par une relecture critique des déviations religieuses de sa propre tradition, et celui que j’appelle l’ex-culturateur contemporain, aidé par l’attitude du chrétien, devra faire un travail sur ses préjugés par la reconnaissance du caractère évangélique des valeurs fondamentales de notre culture commune.

Les réseaux de la transition environnementale, sociale  et économique vivent autrement depuis longtemps. Ils n’ont pas attendu les échecs successifs annoncés des différentes COP internationales et autres forums mondiaux, ni les mesurettes locales sur l’utilisation des sacs plastiques, pour vivre dans un sens favorable au bien commun. Reprenant son baptême à pleines mains, le chrétien n’attendra pas les injonctions de l’autorité ecclésiastique ni ne se plaindra de son inaction pour donner progressivement corps aux  grands principes sur lesquels fonder l’Eglise d’après.

Etonnamment je conduirai cet exercice à partir de la tripartition classique : prêtre, prophète et roi, mais je le fais  sciemment puisque même la doctrine officielle professe que nous le sommes toutes et tous.  Reste alors à en pousser la logique jusqu’au bout afin d’établir une vraie cohérence entre la vie interne de l’Eglise et les rapports qu’elle entretient avec le monde, ce qui est le véritable enjeu, pour moi, de toute refondation.

Alors, tous prêtres : dans son discours, en effet, l’institution aime à rappeler que tous les chrétiens sont prêtres au sens où il leur revient à tous et toutes de sanctifier le monde… Mais dans sa pratique interne la sanctification devient une fonction à caractère sacré restrictivement conçue à l’intérieur de la liturgie et des sacrements… Esprit d’égalité au dehors et reliquat de societas perfecta inégalitaire au-dedans ; l’Eglise d’après ne pourra pas éviter le contre-témoignage si elle n’abandonne pas cette distorsion entre un discours d’égalité ‟ tous prêtres”  pourtant contredit par un système structuré sur la supériorité sacrée de quelques-uns sur tous les autres.

Tous prophètes : de la même façon,  l’Eglise semble abandonner sa posture d’enseignement lorsqu’elle s’adresse au monde, et lui préfère celle beaucoup plus conforme et légitime de l’annonce. Sauf qu’à l’intérieur prévaut toujours la différence essentielle entre une  église enseignante et une église enseignée, structurée autour de la distinction clercs-laïcs. La correction de ce déséquilibre interne proviendra d’un difficile apprentissage de la culture du débat, par ailleurs bien installée dans la société, par un rapport décléricalisé à la vérité, et surtout par le principe de la réformabilité du dogme. Sur ces trois points, la forte progression du nombre de chrétiens diplômés en théologie fait son œuvre depuis un certain temps déjà.

Tous rois : quantité d’analyses historiques ont montré, depuis longtemps, comment l’Eglise a reproduit, par étapes successives, le modèle impérial de l’exercice du pouvoir, jusque dans les titres reconnus aux ecclésiastiques selon leur rang. Par la disparition de la dichotomie clercs-laïcs, l’Eglise refondée retrouvera, bien plus dans l’esprit du Christ que dans l’air du temps démocratique, de quoi nourrir une véritable participation de tous les chrétiens à la conduite des tâches ecclésiales.

Du canal clérical et patriarcal de la grâce, l’Eglise aura vraiment transité vers la voie de l’intelligence collective et du discernement partagé

Je conclus mon propos en forme d’ouverture par le biais d’un plaidoyer pour un nouvel état de conscience chrétienne. De nombreux observateurs et experts en diverses disciplines s’accordent sur le constat d’un changement actuel d’ordre civilisationnel. Il est question d’un accès à un autre niveau de conscience spirituelle de l’humanité de nature post-religieuse. De façon, à mon sens un peu excessive, certains appellent à une mutation génétique de l’Eglise pour survivre dans un tel contexte. Je ne pense pas que le christianisme doive changer d’identité, mais simplement retrouver la sienne, recouverte par des siècles de religion. Libérée de la religion par son propre mouvement, la foi fait accéder à un autre niveau de conscience spirituelle, en nous enfantant à une nouvelle relation à nous-même, à l’autre et à Dieu.

Atterré, comme beaucoup, par l’ampleur des scandales liés aux abus dans l’Eglise, une sœur bernardine du monastère de Collombey, affirme avec clairvoyance un propos qui vaut tant pour la crise de l’Eglise que pour celle de nos sociétés épuisées. « Toute crise n’est pas salutaire, elle pose une question, tout dépend de la manière dont on va y répondre. »

Achevant la rédaction de mon texte, je tombe sur l’article d’un quotidien national Belge consacré encore et toujours à la question de la réouverture des cultes. Son chapeau est rédigé comme suit : « Et si nous assistions à un moment charnière dans l’histoire de l’Eglise catholique : le lock down des cultes l’oblige à se renouveler et à s’engager dans un redoutable examen de conscience. »

(1) About En tant que juriste et théologien, je suis préoccupé par tout ce qui concerne l’humanisation des personnes et des sociétés. Mon parcours témoigne d’une conviction et d’une volonté tout autant que d’un impératif pour aujourd’hui : décloisonner les milieux sociologiques et professionnels. D’où, par exemple, mon intérêt simultané pour le travail intellectuel et manuel. La société des réseaux qui se construit sous nos yeux a besoin de personnes qui transcendent les limites posées instinctivement par des schémas devenus inadéquats. Je suis intéressé par toute mission au service de l’humain qui contribue à nous faire évoluer vers toujours plus d’authenticité personnelle et d’ambition collective.

Jean Pol Gallez /Linkedin

Questions transmises en fin de deuxième partie, par Paule Zellitch,

à  Jean-Pol Gallez et et Isabelle Jonveaux.

 Qu’est-ce qu’un sociologue peut dire de cette notion de post-religion évoquée par Jean-Pol Gallez ?

Isabelle Jonveaux : La notion de post-religion évoque en sociologie le fait de vivre la spiritualité qui me convient en ne prenant que les éléments ici et là qui me satisfont. Ces spiritualités prennent de la distance vis-à-vis de tout ce qui est institution ou autorité religieuse.

 Tous prêtres-prophètes et rois :

 Paule Zellitch rappelle que Jésus vivait dans une forme de tradition et de foi dans lesquelles ces fonctions étaient séparées, d’autre part en régime chrétien le clerc est celui qui sanctifie, enseigne et gouverne.

Comment dénouer ces éléments ? :

Jean-Pol Gallez : Je reviens à l’essentiel et au cœur de mon propos : La véritable  pierre d’achoppement aujourd’hui c’est le rapport au sacré, chaque chrétien doit s’interroger : en quel Dieu je mets ma confiance ? Quelle est ma conception du christianisme ?

Si ce verrou du sacré est débloqué, je pense que toute cette créativité, cette inventivité des 1erssiècles, évoquée dans la conférence de Roselyne Dupont-Roc (1), peut à nouveau rejaillir aujourd’hui et ouvrir à de nouvelles formes peut-être inattendues de célébrations et de vie en  Église.

En confinant, un débat s’est élevé sur ce qui est ou non sacramentel, ce qu’il est possible ou pas de faire chez soi. Une fois que saute ce verrou du sacré, et je crois que les fondements théologiques sont là pour le faire sauter, nous avons la possibilité de retrouver le sens et la pratique de la fraction du pain et de nourrir spirituellement les chrétiens, chez eux, en petits groupes. Tous prêtres-prophètes et rois, la difficulté est que subsiste un double régime qui qui se calque exactement sur cette dichotomie clercs-laïcs.

Et il y aura toujours un conflit même dans les options les plus ouvertes, par rapport à cette question avec les théologiens. Car si est maintenue cette distinction clercs-laïcs et même s’ils sont extrêmement ouverts et cherchent à aller le plus loin possible, à un moment donné on bute sur ce qu’on peut appeler un irréductible qui va protéger une fonction sacrée, sacralisante du prêtre avec laquelle, je pense, on aura toujours un problème, d’une manière ou d’une autre. Donc c’est le sacré, le rapport au sacré sur lequel on doit s’interroger personnellement d’un point de vue spirituel mais aussi collectivement en communauté. Peut-être que la voie synodale constitue une bonne voie pour cette interrogation, qui, à mon avis, doit être mise sur le haut de la pile des dossiers pour envisager des déblocages dans l’Église, s’attaquant ainsi à ce qui est le plus noué dans l’Église.

 Paule Zellitch : quels sont d’après vous, concrètement, dans une Église qui prépare des germes d’avenir, notamment dans le cadre de célébrations alternatives sans consécration, les points fondamentaux d’une communauté vivante, célébrante, ouverte, et fraternelle ?

Les ingrédients sont là, la pratique et la créativité doivent continuer, je préfère qu’on fasse des erreurs plutôt que d’avoir peur de se tromper et d’attendre l’autorisation institutionnelle. Donc, vive la créativité, vive l’innovation. Cependant, loin de moi-même si mes propos sont tranchants, de dire qu’il ne faut pas d’autorité dans l’Église. Je souhaite que cela se fasse en intelligence avec une autorité mais, à nouveau, c’est le problème du rapport au sacré. Rien n’empêche un chrétien, chez lui, d’accomplir ce geste que Jésus a commandé de la fraction du pain et qui est hautement symbolique et significatif de son rapport à ses frères.

Peut-être une 1ère étape serait de réfléchir, en petit groupe de chrétiens, localement, et  de partager le résultat de ses réflexions sur ce rapport au sacré et la religion. Et, à partir de cette étape, je pense que les déblocages pourront venir et que des initiatives concrètes verront le jour.

Je n’ai pas de modèle tout fait en tête mais je pense qu’il faut poser les questions fondamentales et de là pourra surgir peut-être de l’inattendu.

Isabelle Jonveaux (1) pose la question de la connaissance et de la répartition du savoir. Elle évoque l’approche de l’Autriche, où elle travaille depuis 10 ans. La théologie est dans les programmes au même titre que les mathématiques ou autres, présente dans les universités d’État. Certaines paroisses ont pour responsable un laïc. Il semble que la répartition du savoir soit mieux faîte qu’en France…

L’Église domestique

3 questions en relation avec  les propos rapportés de Mario Grech, parlant de l’ancrage familial et du lien avec le sacrement du mariage qui le fondrait comme Église.

Quelle différence avec l’Église domestique fondée sur l’ancrage familial et le mariage et des situations différentes et parfois plus complexes vécues par beaucoup de catholiques, en dehors de ce cadre ?

Quelles différences entre une communauté de croyants qui se rassemblent et une assemblée eucharistique ?

Quels sont les potentiels et les limites de ces trois types d’organisation selon ces trois catégories?

 « Domestique” signifie pour Jean Pol Gallez ‟profane” qui colle à la spécificité de la révélation chrétienne par opposition au sacré. Et si on prend l’Église, elle est nécessairement  domestique, de manière globale dans toutes ses facettes, si on prend au sérieux la révélation des évangiles. Et, dans le logiciel des premiers chrétiens, cette distinction entre profane et sacré n’existait pas.

Toujours cette question du sacralisant venu réinvestir le christianisme alors que ce n’était pas comme cela dans les deux premiers siècles. Donc s’imaginer un monde où la distinction n’existait pas dans le logiciel spirituel des premiers chrétiens et qui, en conséquence, ne s’est pas traduit dans ces premiers temps de l’Église par cette distinction du clerc et du laïc.

D’où la nécessité de rechanger notre logiciel de pensée…

 Isabelle Jonveaux fait référence à des initiatives diverses en situation de confinement en dehors des célébrations plus officielles…Pendant le confinement des familles ont mis en scène des formes de célébrations différentes de celles proposées par les célébrants.

En Autriche, au moment de Pâque pendant le confinement, l’Église a seulement offert des supports pour des personnes en groupe ou en famille, alors qu’il y a aussi beaucoup de personnes seules qui n’auraient donc pas accès à l’Église domestique.…

De plus, sociologiquement, la baisse de la pratique s’explique par l’absence de la transmission qui se fait de moins en moins par les parents qui assuraient  cette transmission.

Pour Jean Pol Gallez ce qui est mis en cause c’est un autre paradigme important de la théologie fondamentale qui est ce fameux rapport entre la foi et la religion, je parle de profane et de sacré, on pourrait aussi parler de rapport entre foi  et religion. Ce qui va du point de vue d’une option  fondamentale libérer, ou être un facteur de libération aussi de la vie chrétienne et de la vie de l’Église en général, c’est de creuser cette question là, de dire, je l’ai mis dans mon exposé,  finalement la foi est un mouvement de sortie de la religion. (ce n’est pas pour cela qu’elle n’a rien de bon et plus rien à apporter). On peut tous témoigner que la religion a pu être des valises ou peut  être une valise pour nous. Simplement  le mouvement chrétien fondamental ce n’est pas d’y rester mais de traverser et d’en sortir. C’est là que la notion de domesticité prend son sens, me semble-t-il. Tout est lié, sortir de la religion c’est sortir de l’angle sacré, c’est reconsidérer autrement les trois lieux évoqués et notamment l’aspect de la communauté paroissiale pour que tous ces lieux soient des lieux domestiques respectueux de cette dimension profondément profane du christianisme. Il y a là, vraiment, comme un conflit idéologique à dénouer.

Ce que j’ai aimé beaucoup, chez Joseph Moingt, mon maître, c’est qu’il ne veut pas rentrer trop vite dans le débat pratique sur l’Église. Il va sans cesse retarder ce questionnement-là, pour aider, et c’est vraiment cela son appel, et inciter les chrétiens à se poser des questions fondamentales que j’ai rappelées, notamment : En quel Dieu est-ce que je crois ? En qui je mets ma foi vraiment ?

Si on ne commence pas par cela toutes les stratégies pastorales,  catéchétiques, la conception de la liturgie… Tout cela restera des questions qui manqueront de sève et de ressourcement.

Paule Zellitch : finalement dans ces apports se trouvent les réponses à d’autres  questions posées par les internautes CCBF : comment éviter les routines, l’auto-référence, le repli, générer un climat qui pourrait aller presque jusqu’à l’abus spirituel, auquel la CCBF, en questionnement permanent continue d’échapper…

Comment prendre en compte la majorité des catholiques ne pratiquant plus mais en lien avec le service du frère, l’attention aux évangiles, ayant des envies de célébrations autres que celles existantes dans les paroisses ? Quelles dynamiques à mettre en place, lesquelles pourraient s’ajuster aux périphéries…?

C’est principalement à eux que je pensais, ajoute Gallez, quand je disais que le geste de la fraction du pain, théologiquement parlant, doit pouvoir être la prolongation la plus haute, la plus signifiante, pour le chrétien, de cette pratique de la charité à laquelle les évangiles le convoquent. C’est compliqué de garder cette dimension de célébration dans un contexte qui n’a pas encore libéré suffisamment cet aspect et ce champ- là, l’espace du christianisme des premiers siècles et qui est à retrouver sous d’autres formes, dans une dynamique renouvelée aujourd’hui.

 Pour Isabelle Jonveaux, la difficulté est de les atteindre en raison de leur absence de pratique. Dans les monastères des personnes plus éloignées peuvent être touchées y trouvant d’autres éléments et propositions… En Autriche se pratique la bénédiction de la viande, apportée avec d’autres mets après les quarante jours de carême, le samedi saint après-midi, par des personnes qui le plus souvent ne pratiquent pas. Ces anciennes traditions maintiennent des liens à exploiter…

 (1) Isabelle Jonveaux est sociologue, chargée de cours à l’université de Graz  en Autriche et membre du CéSor- Centre d’études en sciences sociales du religieux (Paris). Elle travaille notamment sur les questions de vie monastique (économie, travail, écologie, rapports de genre, discipline du corps, ascèse), Internet et religion (pratiques religieuses en ligne, jeûne d’Internet), mais aussi de jeûne et de consommation alternative. Auteure de, Moines, corps et âmes – Une sociologie de l’ascèse monastique contemporaine, Paris, Cerf, 2018,

 

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